AU FAIT, c’est quoi l’art contemporain n°5 - Modeste tentative d’état des lieux…

AU FAIT, C’EST QUOI L’ART CONTEMPORAIN ?
Modeste tentative d’état des lieux…

Si vous êtes intéressé par le sujet, rendez-vous à la salle Mozart le mardi 24 avril, à 18h, l’Association pour les Musées de Toulon invite Jean-Noël Bret à nous parler de l’art contemporain - Merci de bien vouloir remplir l’enquête que nous lançons sur l’organisation éventuelle de rencontres et d’un cycle de conférences sur l’art des années 1960 à nos jours.
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Vernissage "Duels", FRAC, Marseille

"Art contemporain", cette expression prospère actuellement sur les devantures de galeries, de centres d’art, sur les bannières de salons artistiques, dans les articles de journaux, ponctue les discours des attachés culturels : art contemporain par ci, art contemporain par là. Mode ou pas mode ? ça fait dans le vent ou bien ça correspond à une réalité précise ? Hé oui, au fait, ça veut dire quoi, "art contemporain" ? Il serait grand temps de mettre de l’ordre dans les propositions, à l’heure où existe une grande confusion dans l’esprit du public.

Avant de me plonger dans l’aventure hasardeuse d’oser en donner une définition, j’ai pris soin de questionner des personnes "compétentes" du monde de l’art, de lire bon nombre d’essais *, et voilà, et je m’y attendais, la conclusion est là : chacun finalement y va de sa propre théorie, de sa propre définition ! avec un écart considérable entre une définition officielle dictée par les philosophes, les critiques ou les institutions et la définition pragmatique de ceux qui, encore nombreux, créent ou vendent aujourd’hui peinture ou sculpture répondant aux codes classiques nés au 18ème siècle, ou ceux pour qui l’art contemporain est né avec l’art abstrait, au début du siècle dernier. Chacun veut s’approprier l’adjectif « contemporain », d’où une incompréhension totale, je dirais parfois même un leurre pour le public qui y perd son latin pictural.


Évidemment, si l’on s’en tient au terme stricto sensu, contemporain veut dire "qui est du temps présent" (in Larousse de Poche), donc l’homme de la grotte Chauvin ou Léonard faisaient de l’art contemporain à leur époque. Il en serait de même aujourd’hui : tout artiste digne de ce nom, peintre, sculpteur, fresquiste, graveur, photographe, vidéaste, installateur etc.. fait de l’art contemporain, à condition bien évidemment qu’il fasse de l’art (ce qui reste à définir).! et non du « néo-ceci cela », du « à la manière de », voire de l’artisanat, de l’artefact ou de la copie.Voilà pour une définition ouverte qui ne tiendrait donc que du facteur temps et qui inclurait tous les artistes du XXème siècle à nos jours, quel que soit le medium utilisé.


Une autre définition consisterait à considérer que l’art contemporain naît avec Duchamp et l’art conceptuel et comprend tous les mouvements qui, des années 1960 à nos jours, sont allés de révolution en révolution, d’avant-garde en avant-garde : action painting, popart, support surface, figuration narrative, nouveau réalisme, happening, performance, fluxus, body-art, arte povera, land-art, minimalisme, pour n’en citer que quelques-uns... L’art contemporain serait donc essentiellement conceptuel et/ou militant.


Mais voilà, la contemporanéité (quel vilain mot !) avance plus vite que nous, et il se trouve qu’en France, dans les milieux institutionnels (musées et centres d’art, écoles d’art, drac, frac, fnac, cac, crac, mac etc..) et journalistiques, un consensus s’est dessiné autour d’une définition beaucoup plus restrictive, celle d’un art né dans les années 1980. Cet art nommé « contemporain », « en train de se faire », « vivant », « actuel », « ou encore « post-postmoderne », ne renie pas les avant-gardes précédentes mais en élargit le champ : il dénigre les modèles esthétiques « classiques » de la vulgate kantienne ** et adopte les modèles dictés par l’utilisation de toutes les nouvelles technologies qu’il met au service du Sens, du Concept, du Projet, du Processus ou, plus récemment, de l’Expérimentation sensuelle. D’où "art contemporain" = installations, dispositifs, environnements, mises en scène = assemblages de media les plus inattendus (des exemples ? photographie + textes + mise en scène + son ; espace rempli d’un brouillard très dense + notice sur le processus brouillard + video de vous en train de traverser le brouillard ; environnement lumineux + rite de vernissage d’un point de vue +performance + buffet ), exit peinture ou sculpture « classiques ».


vernissage Villa Tamaris, La Seyne

Je vais parler de cet art contemporain-là, celui actuel, vivant, qui émerge depuis les années 1980.

On ne peut pas dire que cet art soit figuratif ou abstrait, il est d’ordre conceptuel et/ou cognitif, il est héritage de Duchamp (Fontaine, 1910), sans lequel d’ailleurs l’art n’existe plus. Il délaisse le savoir-faire, devenu accessoire, l’intervention manuelle de l’artiste n’est plus indispensable, (Delvoye ou Koons) ; il n’a plus pour finalité le Beau ("esthétique" se dit "esthétisant") ; le concept du Beau universel, selon les critères classiques**, est totalement remis en question, l’icône est désacralisée et mise au placard ; la notion d’œuvre d’art et de pérennité est souvent supplantée par l’éphémère et l’objet issu du quotidien, parfois trivial. Seuls comptent les concepts de sens, d’innovation, de notice et mode d’emploi, d’efficacité de l’effet produit, le tout au service d’une expérimentation partagée. L’idée peut être d’ordre social, sociétal, politique, économique, philosophique, descriptif d’un quotidien, d’une ambiance, du sensible, du relationnel, de l’identitaire, ou même de l’ordre de l’éloge du vide, du silence. Tous les tabous sont levés, le corps, la vie, la mort, le sexe, la religion, l’intime ego. L’expérience peut être individuelle ou collective. Tout, absolument tout, devient permis. L’art n’a plus de limites (les détracteurs disent « c’est n’importe quoi », et c’est juste si on prend l’expression sous son sens étymologique, positif, libéré).

L’art « contemporain » se veut totalement ouvert au public, interactif - il fait souvent appel à l’intervention physique ou intellectuelle du "regardeur", devenu parfois co-créateur de l’œuvre même – ce spectateur qui, trop souvent nostalgique d’un passé révolu, n’y comprend rien et se trouve pris en otage… Donc, et paradoxalement, l’art dit contemporain est souvent incompris voire vilipendé, haï même par ses contemporains, (notion de décept). Lui qui se voudrait si proche, il devient réservé à une élite initiée. Et de plus, il fait des jaloux : tous les « artistes » non sans talent mais non dans la lignée ou non co-optés par le « monde de l’art », bref, non « contemporains », qui fonctionnent encore avec les critères de l’art classique et qui ne recueillent que les miettes d’une manne institutionnelle.

vernissage "French Touch", Tamaris, La Seyne

Il est aussi souvent très gourmand en moyens technologiques, en argent, en espace, il ne peut entrer dans votre salon que sous forme de catalogue ou de vidéo, il ne peut être montré que dans les lieux conventionnels ou de mécénat qui se l’approprient, ou, au contraire dans la rue, dans des lieux désaffectés, magasins, usines. Lui qui aimerait tant être aimé et vu de tous, qui voudrait se fondre dans le quotidien du spectateur-acteur...

L’art contemporain, né de la culture occidentale, se moque des frontières, il devient international et absorbe les autres cultures, il se promène partout, grâce aux nouvelles technologies de communication. Il peut aussi être immatériel, se jouant de la virtualité, des bio-technologies et autres avancées scientifiques qu’il détourne allègrement. En cela, il flirte avec toutes les disciplines qui sont à sa portée, il est hétérogène. On n’est plus dans le « uniquement visuel »,. on est dans le multimédia, multisensoriel, multidisciplinaire, le multi-tout.

vernissage "Roger Pailhas, l’art d’une vie", MAC, Marseille

L’art contemporain actuel peut donc être comparé à un ample mouvement, très représentatif d’une génération et d’une mondialisation en train de se faire mais, qui, parce que trop exclusif chez nous, est souvent accusé d’ « académisme institutionnel » routinier. C’est un autre des aspects paradoxaux de cet art qui se voulait entièrement libre de toute contrainte et qui se trouve parfois dépendant du système et de l’air du temps. Contrairement aux autres pays, plus ouverts dans leur acception, où nouvelle peinture et nouvelle sculpture ont pris leur place.

L’artiste, lui aussi a changé. Il est enfin beaucoup plus souvent de sexe feminin. Et il ne se considère plus comme l’artiste consacré génial ou l’artiste maudit, il devient simple « passeur », médiateur entre public et création. De façon ludique, soft, ou, au contraire, tragique, violente. Il travaille souvent sur commande, pour un lieu, « in situ ».

Cet art est capable de mettre en valeur des artistes hors du commun et hors frontières (Rebecca Horn, Shirin Neshat, Marie-Jo Lafontaine, Bill Viola, Maurizio Cattelan, Wim Delvoye ou Wang Du, Sophie Calle, Adel Abdessemed, Ron Mueck, Tania Mouraud ou Patricia Piccinini***, pour ne citer que quelques-uns des très nombreux artistes qui m’ont totalement époustouflée, enthousiasmée, parfois scotchée), mais, parce qu’in situ, ou gigantesques, leurs oeuvres sont fugitives et durent le temps de la mémoire des choses, le temps de l’exposition. Et surgissent partout les musée, les centres d’art contemporain, les fondations, véritables temples de sacralisation et les incontournables biennales, les foires, véritables temples de consommation, là où se retrouvent tous ceux qui créent le consensus et rédigent cartels, notices, textes de catalogues (bien souvent hermétiques) qui entourent l’exposition et en incarnent la trace. Cet art qui se voulait éphémère, à la portée de tous et désacralisé se retrouve dans les musées…valorisé, catalogué, archivé et pérennisé, autre paradoxe.

L’autre côté de la médaille : cet art change sans cesse, il zappe de plus en plus rapidement, à la vitesse avec laquelle changent le monde et les technologies, et, attention, par manque d’un temps de réflexion suffisant, par mode, ou pour répondre à des lois de marché très spéculatives et au star-system occidental, il peut mettre en valeur des artistes immatures, voire insignifiants, anecdotiques, venus trop vite sur les devants de la scène ! Cet art est en fin de compte capable du meilleur comme du pire. D’où la polémique qui, depuis les années 1990, occupe le monde philosophique, artistique français. Et aujourd’hui, enfin, semble émerger une réflexion sur le « comment évaluer l’art contemporain », ou sur le « quand y a-t-il vraiment art ? ». Réflexion qui nécessite un changement total de paradigmes, donc de critères et qui demande aussi du recul.

Alors, peut-on répondre à la question « c’est quoi l’art contemporain ? ». Beaucoup pensent finalement que l’art contemporain n’est défini que par l’impossibilité d’être défini, rebelle qu’il est à toute classification…D’autres, surtout en France, diront qu’est art contemporain ce qui est coopté par le « Monde de l’art », (artistes, institutions, galeries, collectionneurs, critiques), seul habilité et même auto-habilité à décider ce qui est art, ce qui est non-art, donc que l’art se réduirait à l’idée de l’art…Vous me suivez ? Non ? Alors, je citerai Marc Gimenez : « L’idée que l’art et l’œuvre d’art ne doivent leur définition que grâce à l’ensemble des pratiques, des événements et des conventions en vigueur dans le temps de leur manifestation ». Et il ajoute : « Sans doute en a-t-il été ainsi de tout temps ». Et l’on rejoint peut-être la première définition, l’art doit être de son époque, marqueur de l’identité d’un temps (t) donné, en dehors de cela point de salut.
Mais faute de mieux, et forte de ma propre expérience, je pense que la définition de l’art actuel ne peut se faire qu’en creux, comme le schmilblick : ce n’est pas « l’art » « à la manière de », « suiveur de », ce n’est pas de « l’art » néo-moderne, néocecicela, tous ces ersatz qu’on pourrait nommer artisanat, ce n’est plus non plus peinture ou sculpture, mais ça peut l’être, tout dépend du projet, ce n’est pas une icône, ce n’est pas sacré, ce n’est pas obligatoirement beau, ça n’est pas pérenne, et le seul point en bosse que je perçoive : ça porte sens, ça produit effet, et cet effet, cette expérience, parfois provocants, nous bousculent, nous réjouissent, nous mettent en colère, en tous cas jamais ne nous laissent indifférents, nous font découvrir des sensations et des plaisirs nouveaux, nous mettent en alerte, et parfois même nous transforment.

Vous ne voyez toujours pas très bien ce que c’est ? Cela ne m’étonne pas, dans la région toulonnaise, les expositions d’art contemporain actuel se comptent sur les dix doigts de la main : on pourrait citer « Marie-Madeleine », au Musée des Beaux Arts, les expositions et vidéos récentes à la Galerie des Remparts, Kounellis, Muniz, Millet ou Venet à l’Hôtel des Arts, Olivier Blanckart ou Olivier Millagou au fort Napoléon, certains artistes montrés à L’Espace Peiresc, comme Sechas, Barbier, Verjux ou au rendez-vous d’Elstir, certains artistes présents dans « Une peinture sans qualité » ou « Les nouveauXpop » à la villa Tamaris etc… Mais et Tapiès, Kirkeby, Buraglio ou Scully, Le Gac, me direz vous ? A mettre dans l’art moderne, postmoderne ou avant-gardiste ? Oui, probablement, mais tout dépendra de la sémantique qui sera définitivement et internationalement adoptée dans les années à venir.

J’espère que ce bref résumé, assez dense, je l’admets, vous aura donné envie d’approfondir le sujet (voir une petite bibliographie plus loin), et surtout qu’avant de dire « c’est n’importe quoi, c’est nul, on se moque de moi », et j’en passe et des meilleurs, vous aurez la curiosité d’aller un peu plus loin et de percer le mystère de la pensée de l’artiste, le mystère de l’art dit « contemporain », le mystère de notre époque et alors vous pourrez dire « c’est nul », ou bien « quelle force, quel projet intéressant, cela résonne en moi ». En connaissance de cause et d’implication. Pour ma part, j’y puise souvent de très grandes joies, d’ordre du sensible et de l’intellect, de belles émotions, de grandes remises en question, et, il faut le dire aussi, de belles déceptions, dues à des dérives inévitables… Mais au moins, j’ai pris le train en marche et j’avance avec mon temps...

L’art contemporain est une sorte de caverne d’Ali Baba, on y trouve de tout, des babioles comme des trésors, des postures comme des impostures, à nous de savoir chercher et reconnaître le trésor. De toute façon, il est là, avec ses paradoxes et ses excès, reflet de notre époque, esquisse de son devenir, ou alerte criante de ce qui pourrait advenir… Autant essayer de le comprendre, de le saisir, au même titre que l’on se doit de comprendre et saisir son époque si on veut avoir prise sur lui...

  • voir aussi sur http://yaquoi.com/-Actus-Arts- les 150 articles parus depuis 2001, spécialement les « Au fait, c’est quoi l’art contemporain » n°1,2,3,4

** « Le Beau est ce qui plaît universellement sans concept », « Le Beau est le symbole du bien moral », Kant, qui développe également les notions de Sublime et de désintéressé dans l’art.
*** Vous trouverez les sites de tous ces grands artistes sur internet

Posté le 19 mars 2007