Babou à la Villa Tamaris Pacha

Babou brouille volontiers les pistes et l’apparente limpidité de sa peinture n’est que le masque d’une subtile complexité.

Clin d’œil biographique qui n’explique rien (ou si peu), le débutant Christian Baboulène a dû raccourcir son patronyme en raison de l’antériorité et de la notoriété d’Eugène. Pour le reste, un travail qui débute professionnellement dans le cadre de la Jeune Peinture, référence qui appelle des œuvres critiques, décryptant le monde réel, privilégiant souvent le contenu, voire le message. Babou s’intègre au mouvement, mais en préservant son tempo et la vibration intime qui anime dès l’origine son travail. Il anticipe de fait les propositions de Bernard Morteyrol, qui en 1974, souhaitait établir une distinction entre « les oeuvres de courte durée » marquées dans « leur structure et leur forme (de) la fonction pressante et provisoire qu’elles ont à remplir », et les « oeuvres destinées à produire un effet durable (devant) être beaucoup plus complexe et embrasser des éléments contradictoires auxquels elle se devront survivre ».
Ainsi, Résidences de prestige (plus de 70 peintures de 1971 à 1974), dénonçaient l’individualisme et le mauvais goût des programmes immobiliers régnant dans les banlieues, mais avec une rigueur conceptuelle qui abolissait en pratique la distance entre artiste et illustrateur Au moment où Rabascall traitait le même sujet par le biais du report photographique (Douce France, 1971), Babou intervenait comme peintre. Son refus de l’anecdote (position que ne constitue ni une qualité, ni un défaut, mais un parti pris), va lui permettre de décliner sur le fil du rasoir des narrations minimalistes (pour mieux être ?! 1973), et une réflexion fondamentale sur une figuration s’aventurant aux lisières de l’abstraction. Le tout s’incarnant dans de vastes séquences qui bousculent les repères, où la théorie se fait lumière et le concept désir, qui formeront la trame de la rétrospective que lui consacre la Villa Tamaris.

Ornements - Inventaire 1974/1975, se joue ainsi des signes de puissance ostentatoires et illusoires plaqués sur les maisons bourgeoises à la fin du 19ème, siècle, pour constituer l’alphabet pictural qui s’épanouira dans le cycle Ornements-Espace , 1975/1976, analyse en acte de la dualité entre le plein et le vide dans plus de 60 œuvres.

A partir de la série Dômes Christian Babou entreprend une vaste recherche sur et autour de la couleur, de l’ambiguïté féminin/masculin : (Gargouilles, Dauphins, et autres lanceurs 1980/1981, Ornements-Animaliers).
Surfaces de réparation (1982/1984), prend comme prétexte des images du sport, que l’artiste découpe de façon critique, entre amour et haine.
Entraves 1984/1987, présente une approche dialectique de la violence et de la douceur entre fantasmagories et harmonie sensuelle.
La série Bastides 1987/1992, traite de l’ombre et de la lumière avec comme point de départ des résidences domaniales du Sud-Ouest, sa région natale.
Les Madones (1993) marque un retour de la représentation humaine, abandonnée depuis 1973. Ici, la rigueur de la composition est la condition même de la dimension érotique de cette courte série (9 toiles) dans laquelle la sensualité le dispute à l’élégance.
Immédiatement après, Aficións, 1993/1996, propose une réflexion sur la séduction, les couleurs de la corrida. De 1997 jusqu’en 2001, il créé près de 200 peintures reflétant la dichotomie culturelle entre la Chrétienté et l’Islam au 15ème siècle, à partir des Eglises Byzantines devenues Mosquées après la prise de Constantinople (Turquoises).
« On ne retrouve pas dans les Turquoises, les tonalités froides de certaines bastides. Dans l’ouverture de la pleine lumière plus rien n’existe qui pourrait l’accrocher, la briser en plans colorés. C’est la première série de peintures de Babou où la lumière accède à sa propre liberté, devient température colorée pure et non relative ». (Jacques Soulillou).

Aujourd’hui, il a entrepris un vaste cycle de peintures cartographiques (clusters) à partir de cartes de l’I.G.N au 1/25000ème, qu’il agrandit au 1/25.00ème, pour évoquer encore et toujours les bastides et paysages de l’Agenais. Sans doute retrouve-t-on dans ce regard cartographique certaines des « résidences de prestige » des années 70. Babou intervient désormais sur la représentation d’un territoire et son absence, la mémoire et l’évolution des sites, la notion de plan en tant qu’opération. Ce « paysagisme géographique » (Marcel Duchamp) s’avoue comme une esthétisation de la banalité, une rencontre entre l’art et un savoir, (Babou a été cartographe dans sa jeunesse). Dans cet entre-deux se révèlent l’unité, la cohérence et la vérité de Christian Babou : avoir su rester, contre vents et marées, définitivement et fondamentalement, un peintre.

Posté le 25 novembre 2004