Bilan du Bocal Agité varois raconté par des acteurs de l’événement

Les 6-7-8 juin 2002, le premier Bocal agité des auteurs et gens de théâtre varois s’est tenu au Revest et à l’abattoir de Cuers.

Il a permis la rencontre de 4 auteurs algérois, de 5 auteurs varois, de metteurs en scène et de comédiens varois autour d’un thème d’écriture : l’indépendance de l’Algérie et le retour des pieds-noirs, il y a 40 ans, en 1962.

A cette occasion, et comme l’un des principe du Bocal agité est l’échange, les textes rédigés par les auteurs varois ont été envoyés par Internet à l’Institut National d’Art Dramatique d’Alger afin d’y être joués simultanément. Cette édition du Bocal est sans conteste une grande réussite. Les rencontres entre varois et algérois ont été riches, elles ont donné lieu à des formes théâtrales de grande qualité, réalisées de l’écriture à la mise en scène, en trois jours seulement.

L’expérience racontée par des acteurs de l’événement :

Mustapha Aouar, de Gare au théâtre à Vitry-sur-Seine, inventeur du Bocal agité

" Le travail d’écriture est solitaire et les écrivains ont des fonds de tiroirs énormes. De plus, le public est très souvent motivé par le nom d’un auteur lorsqu’il va voir un spectacle.

L’idée du Bocal est donc de bousculer les choses et les habitudes, de faire se rencontrer des auteurs, des metteurs en scène et des comédiens. C’est aussi
l’occasion d’attirer le public sur une forme nouvelle d’expression, issue d’un processus très condensé de création. Les rencontres sont presque trimestrielles, et nous tentons de conserver des liens entre régions pour s’accueillir les uns les autres, en gardant un esprit d’ouverture, une certaine simplicité.
Ici les gens ne sont pas jaloux de leur production, il y a un vrai partage, et le Bocal permet de faire sortir des textes débridés. Si au départ le Bocal ne concerne que les participants, devant la qualité des travaux, nous commençons à ouvrir la chose au public. La seule condition est que celui-ci soit ouvert, qu’il ne vienne pas en consommateur de spectacles, mais plutôt en spectateur d’une expérience théâtrale.
Parmi les formes proposées, il y a des choses parfois faible mais aussi, souvent, d’autres tout simplement fulgurantes".

Gérard Lépinois, auteur de théâtre, Paris, à l’origine du Bocal agité avec Mustapha Aouar, agitateur du bocal varois

" Au delà de la dimension humaine de l’événement, le but du Bocal et des contraintes d’écriture, c’est une recherche modeste sur ce que veut dire écrire du théâtre."

" Les contraintes ne sont pas là pour interdire mais pour libérer, de même que la loi, d’une certaine manière, libère les êtres.

Par rapport au thème de ce Bocal, l’indépendance de l’Algérie, il fallait absolument que les auteurs évitent de tomber dans l’idéologie. Les contraintes déplacent les gens, elles déclenchent des choses positives en eux.
Dans ces conditions, les auteurs écrivent des choses qu’ils n’auraient jamais écrites. Le regroupement dans un même lieu leur permet de s’isoler en restant ensemble. Ils forment alors un collectif de singularités. La tension est positive, il n’y a pas de concurrence, pas d’esprit d’excellence. Des auteurs très expérimentés comme Joseph Danan y ont trouvé du dépaysement, une nouvelle manière d’aborder la création ".

Hachémi Mokrane, animateur culturel du Centre Culturel Français à Alger

" Le concept est intéressant, il donne la chance aux jeunes comédiens de s’exprimer, ce qui n’est pas toujours évident à Alger, qui souffre d’un vide flagrant dans l’écriture théâtrale ".

" L’avantage du Bocal est qu’il est réalisable avec des moyens financiers modestes. Il peut donc être transposé un peu partout. Seule l’énergie est requise.

En Algérie, où la culture n’a pas de tutelle, il suffit que quelqu’un fasse le lien. Alors qu’on ressent des possibilités nouvelles pour s’exprimer dans le domaine artistique en Algérie, après une décennie noire (les vagues d’assassinats parmi les intellectuels pendant les années 90), des blocages persistent.
Ces derniers sont essentiellement financiers et obligent donc à être plus inventifs "

Djalila Hajar Bali, auteur, enseignante en mathématiques à Alger

" L’écriture est une passion que j’exerce en dehors de mes horaires de travail. Je fais également partie d’une troupe de théâtre à Alger, pour laquelle j’écris des pièces.

Habituellement, je travaille isolée, quand j’ai du temps.

En Algérie, le théâtre n’est pas très regardé par le pouvoir. C’est donc un espace de liberté qui fonctionne bien depuis deux ans, avec beaucoup de regroupements associatifs, et peu de censure. Le problème, c’est que cela reste confiné dans les grandes villes, avec très peu de professionnels.

J’avais déjà participé au premier Bocal Algérois, en juillet 2001, puis j’ai été contactée pour participer à ce premier Bocal varois.
C’est la première fois que je travaille sur une thématique avec des contraintes particulières. En ce qui concerne le thème, l’indépendance de l’Algérie, j’avais quelques appréhensions par rapport au climat en France, et plus particulièrement à Toulon. Mais, au final, le Bocal a été une expérience très enrichissante sur le plan du travail d’écriture, et surtout sur le plan humain ".

Christophe Pellet, varois, auteur de théâtre à Paris

" J’écris depuis une vingtaine d’années, seul, comme un romancier. Au départ j’ai eu peur de ne pas pouvoir intégrer les contraintes dans mon travail.

Je m’intéresse beaucoup à la question des pieds noirs. C’est un beau thème et j’ai voulu faire passer la tragédie vécue par les deux peuples et le fait que certains pieds-noirs ne sont pas des colons racistes.

L’intérêt du Bocal, c’est qu’il permet de nouer des contacts, et aussi d’être publié. Je suis prêt à renouveler l’expérience, surtout à l’étranger ".

Philippe Malon, varois, auteur de théâtre à Paris

" J’ai vécu 6 ans dans le Var et le Bocal a été pour mois l’occasion de revoir Toulon. Cette expérience a été très dense, comme une accélération du temps. Elle a aussi été la base d’une prise de conscience.

C’est difficile de se faire une idée sur deux lectures très idéologiques de l’histoire avec un fossé insurmontable entre la France et l’Algérie.
En discutant avec les auteurs algérois, j’ai reçu un choc sur le plan affectif et sur celui de la citoyenneté. Pour traiter un thème comme celui qui nous était imposé, il faut tomber tout de suite dans la métaphore.
C’est pourquoi j’ai composé sur une scène de rupture : le corps et la carte des corps. La femme est l’Algérie, elle vit dans une relation amour-haine. J’ai voulu parler du paternalisme colonial et de la problématique du pouvoir, du sexe masculin du pouvoir ".

Ivan Dmirtrieff, metteur en scène varois

" J’ai vécu ce Bocal agité varois comme une dense effervescence. Chaque metteur en scène a dû défendre ses projets, fraternellement, sans concurrence. Toutes les contraintes et le cadre m’ont amené dans une durée très courte à me poser les bonnes questions, a effectuer les bons gestes avec une impression de grande liberté.

Cela a permis sur un temps restreint de voir le travail de tous les metteurs en scène, dont la qualité a été indéniable.

Cet événement a démontré que, contrairement aux idées reçues, il y a des gens de grande qualité artistique dans le Var.
Il y a dans l’histoire, des thèmes, et celui de ce Bocal en fait partie, qui sont tabous, alors qu’il faudrait en parler posément. Ces thèmes nécessitent que l’on crève l’abcès qui nous empêche politiquement et affectivement de penser par nous-mêmes. En privilégiant le spectaculaire, les médias ne nous donnent pas souvent les bonnes information.
Au contraire, l’art, le théâtre, tel qu’ils ont été pratiqués au Revest pendant le Bocal sont un moyen de faire avancer les choses. Que ce soit pour l’Algérie ou pour Vichy, les Français ont mis un mouchoir sur ces deux périodes douloureuses, pour ceux qui les ont vécues comme pour ceux qui les ont lues. Il y a une culpabilité entretenue par les médias. Il suffirait qu’on déballe tout une bonne fois pour toutes, sans complaisance ni bons sentiments, pour en finir avec ces tragédies. Grâce au Bocal, je m’apprête à aller à Alger, invité par deux auteurs algéroises pour rencontrer des artistes. J’espère pouvoir réaliser quelque chose avec eux ".

Posté le 13 juin 2002