Derrière le voile

« Charnelle psyché », l’univers singulier de Fabienne Frossard

« Charnelle psyché », l’univers singulier de Fabienne Frossard qu’il convient de découvrir dans les Galeries du Fort Napoléon. Ce travail est axé sur la représentation du corps dans l’espace qui prend forme grâce à l’objectif de l’appareil photographique et aux logiciels informatiques de traitement d’image.

L’exposition de Fabienne Frossard se parcourt comme on déroule une histoire, et pas n’importe laquelle, puisque on navigue dans les eaux troubles de la conscience et de l’inavoué. « En eaux troubles », justement, « Les conséquences de l’amour » et « Les flâneries de l’homme sans tête », des titres de séries qui construisent un monde constitué de contes, de légendes, de saveurs, bref, les sens interdits et uniques pour lesquels plus d’un ont brûlé leur cœur.

De l’imperméabilité des c@nards

Fabienne Frossard s’inspire des grands noms de la littérature pour échafauder une proposition artistique où la symbolique tient toute sa place en traduisant en pixels - le numérique, c’est fantastique - l’essence des êtres et des choses. « Je pars toujours d’une lecture et les thèmes apparaissent ensuite. En fait, cela m’aide à mettre des mots sur ce que je veux faire réellement ». Ainsi, Frida Kahlo, une femme qui exprime avec beaucoup de justesse ses souffrances et ses passions, Odilon Redon, à la fois peintre du mystère et du rêve et écrivain de talent, Hermann Hesse qui bâtit une philosophie de vie nourrie essentiellement de ses tourments personnels et, dans une moindre mesure, de sa confrontation au bouddhisme, Boris Vian, de qui l’artiste retient sa maîtrise de l’absurde pour le rendre intelligible au commun des mortel...sont sources d’inspiration.

En peinture, le rapport d’Egon Schiele à la déformation du corps et les univers de Jérôme Bosch peuplés de personnages étonnants sont les références incontournables pour qui veut comprendre cette œuvre. Avec ou grâce à ces repères, Fabienne Frossard interroge la réalité et l’importance parfois trompeuse des apparences. Les corps sont ainsi travaillés, secoués, malmenés et certaines parties sont atrophiées ou disparaissent pour ne conserver que l’essentiel. Ces chairs résonnent des tensions qui les animent, comme des cris ou des appels à l’aide. Avec ces déformations légères ou ces totales métamorphoses, ces contrastes exacerbés et le recours à des matières les plus insolites, la photographe semble signifier que le jeu social régissant les relations entre les hommes masque difficilement le réel. A savoir, l’étrangeté des comportements découverts lorsque le miroir se brise, belle histoire ou tragique destin, les individus se dévoilent et se cachent en même temps, rendant à l’émotion sa toute puissance d’interprétation, et rejoignent en cela la pensée d’Odilon Redon « je parle à ceux qui cèdent docilement et sans le recours d’explications stériles aux lois secrètes et mystérieuses de la sensibilité du cœur ». Ce travail réalisé spécialement pour cette exposition dans les Galeries du Fort Napoléon témoigne donc d’une grande intelligence de sentiments qui caressent sans griffer.

Citons également l’humour que l’on retrouve dans les mises en scène et dans les titres des œuvres comme « Si on bricolait plus souvent on aurait moins la tête aux bêtises », réplique extraite du film culte « Les tontons flingueurs ». Les supports métalliques - des plaques d’acier et des feuilles de plomb retournées sur des panneaux de bois - qui reçoivent ces images complètent ce dispositif entre symbolisme et surréalisme, du reste souvent proche de la peinture. Souhaitons enfin que le papillon représenté dans l’une des épreuves s’élève et emporte avec ses couleurs nos bleus dans ceux de l’azur.

Posté le 3 mars 2006