"EXAGÉRER POUR INVENTER", installation de JOANA VASCONCELOS à l’Hôtel des Arts de Toulon

Hôtel Départemental des Arts
13 juillet – 18 novembre 2018

"EXAGÉRER POUR INVENTER", installation de JOANA VASCONCELOS

Drôle de d(r)ame
par Lilyane Rose

Ce n’est pas tout à fait la parité, mais presque… après l’importante exposition du travail photographique (2016) de Jacqueline SALMON, l’Hôtel des Arts nous offre encore l’opportunité de découvrir l’art "au féminin" – si toutefois, d’aucun(e)s pensent que l’art peut avoir un sexe – Il est vrai que les travaux d’aiguilles, la broderie, le tricot, le tissage, la couture, la tapisserie, sont connotés "ouvrage de dames". Voyez, par exemple, les objets cousus, les animaux emmaillotés de tricot, les organes textiles pendant du plafond d’Annette MESSAGER, et aussi les costumes improbables, les boyaux en tissu de Lygia CLARK, les installations en fils de laine de Chiharu SHIOTA, ou encore, les petits mots brodés de Louise BOURGEOIS, qui nous confie : " j’ai toujours éprouvé de la fascination pour l’aiguille et son pouvoir magique. L’aiguille sert à réparer les dommages. Elle est une demande de pardon."

Ouvrage de dames, donc, que ces napperons au crochet d’un autre temps, ces accumulations de perles et de rubans, ces passementeries somptueuses et baroques. Je garderai un éblouissant souvenir de mon premier contact avec une œuvre de Joana VASCONCELOS : un lustre empire, immense, magnifiquement à sa place dans l’espace de l’Arsenal de Venise, en 2005 ; et la surprise, en s’approchant, de sa matière triviale, dérisoire, qui remplaçait le cristal : des tampons hygiéniques de marque connue ! Cette œuvre "Novia" (la fiancée) fut refusée pour Versailles en 2012, allez savoir pourquoi… ?

Œuvre d’une dame que rien n’arrête ; surtout pas le défi d’occuper les espaces les plus gigantesques, en les contaminant, c’est son terme, par des sculptures monstrueuses et tentaculaires, ses walkyries, emblématiques et récurrentes dans son travail. Comme ces créatures guerrières, celle-ci, à l’hôtel des Arts ("It’s raining men") chevauche les airs et nous conduit aux étages. Des pièces fascinantes et ambiguës, quand on se rappelle que ces féroces esprits femelles sacrifiaient aux puissances de la mort par strangulation…

Alors, serons-nous peut-être alertés, et verrons-nous différemment ces séduisantes créations qui évoquent des univers ludiques et innocents avec des poupées, des jeux, cette petite maison, ces bouées-cygnes, ces chiens et escargots de jardin, ces veilleuses de chambres d’enfants, et les couleurs de rêve, et le folklore portugais, et ce merveilleux travail aux crochets de nos gentilles grand-mères…

Un sentiment de malaise suivra peut-être cette envie de sourire devant la poussée inquiétante de la manique surdimensionnée retenue par ses crochets en inox ("Big Booby #3") ou de "Empty quarter" vomissant son contenu. On se méfiera alors, de ces formes organiques boursoufflées, improbables hybridations en expansion, qui ne demandent qu’à déborder et envahir l’espace ; et on imaginera les charmants napperons comme de redoutables filets plaqués sur "Lilae" et "Madison", les emprisonnant à jamais. Ce rêve à la Disney, basculera dans une étrange et inquiétante absurdité.

Le fil, matière de prédilection pour Joana VASCONCELOS, n’est sûrement pas choisi au hasard. Il se tisse, s’entremêle, se brode, se tricote ; pour l’artiste il est d’une force redoutable, il capture et emprisonne, les deux mythiques cygnes du "Pas de deux" et les "Fashions Victim #2" en ont fait la cruelle expérience. Fil de l’araignée qui capture ou fil d’Ariane qui délivre, c’est selon…

La tension est terriblement présente dans toutes les œuvres de l’artiste : les formes tissées, cousues ou tricotées, rondes, souples, sensuelles ("féminines" !), en germination, ne cherchent qu’à exploser, à s’échapper de leurs cadres rigides et manufacturés (crochets, pommes de douche, évier en inox, jeux de construction en azulejos, ou même ce bel encadrement doré de musée), pour atteindre la liberté. Contrainte et débordement. Ordre et désordre. Bien entendu, une métaphore du masculin et du féminin ne serait pas involontaire !

Le travail de Joana VASCONCELOS est complexe, l’artiste invite le spectateur à se projeter dans des œuvres ironiques dont il faut dépasser la séduction décorative pour en dégager le sens selon son histoire personnelle. Malgré la formidable poussée de vie, la fragilité de l’existence y est sous-jacente ; explicite dans des pièces comme "Glasshouse #1", reproduction bluffante d’une anodine maison de jardin d’enfants – en verre de Venise, peut-être plus tacite pour "Aquarela" où le T du jeu vidéo Tetris pourrait évoquer la crucifixion, ou clairement exprimé dans "Passerelle", où l’artiste nous implique directement dans la décision de détruire les chiens de faïence suspendus, nous faisant rejouer le rôle des Parques, ces sinistres filandières, maîtresses du destin.

Le "Fado" est bien ce chant portugais sur des poésies populaires sentimentales et dramatiques (définition du Robert) ?

Une exposition tout public, à voir et à revoir, absolument.

Lilyane ROSE


HÔTEL DÉPARTEMENTAL DES ARTS
236 bd Maréchal Leclerc - Toulon
Tél : 04 83 95 18 40
Fax : 04 83 95 18 71

Ouvert tous les jours de 10h à 18h sauf le lundi
Entrée gratuite

https://hda.var.fr/


Dépêchez-vous, il ne vous reste que trois semaines pour voir ou revoir cette installation d’une artiste de dimension internationale.

Mise en page et Crédit photographique Marie-Françoise Lequoy-Poiré


Posté le 22 octobre 2018