L’art vrai d’Arène

“J’avoue tout, être un simplet arriéré, dans un monde en pleine mutation. Je freine des quatre fers depuis mon adolescence, trop lucide pour accepter une course absurde dont l’enjeu est seulement l’argent et la nouveauté d’un jour. Je n’ai pas eu de vraie famille mais plein d’ancêtres peintres dans les musées, et des bergers dans les collines.” L’homme qui s’exprime en ces termes aussi directs que sincères est peintre et, déclinant ce point de vue condensé de sa philosophie, avoue n’avoir jamais eu qu’une seule ambition : celle d’être libre.

Cette liberté, Jean Arène en a fait sa force de vie, bourlinguant aux quatre coins du monde, aux hasards des rencontres humaines et des paysages à saisir, vivant dans un cirque, dans le désert ou dans une grotte varoise, et toujours peignant, dessinant, modelant son parcours au gré des vents maîtres et de ses envies.

Son nom évoque l’aire sablée où les gladiateurs combattaient, mais aussi celles des cirques et des courses de taureaux. Jean Arène est un de ces peintres trop rapidement qualifiés de provençaux. Chez lui pas de champs de lavandes ou de criards coquelicots sur fond de cabanon. Non la Provence d’Arène est plus forte, plus entière que cela. Moins caricaturale. Mais plus austère aussi. Elle trimbale son lot d’histoires, d’influences romaines et de moutons tondus. Même de l’immense Giono qui appréciait sa peinture, il se méfie : “Giono a rêvé la Provence, il l’a transcendée, l’a embellie avec des drames et des nuages.”

La Provence d’Arène est celle de l’intérieur plus que du littoral (même si
exceptionnellement pour l’exposition borméenne, il est venu peindre du côté des plages de Cabasson et de Brégançon) et s’avère peu riante. Elle est faite de terres sèches, d’étendues de cailloux, labourées sous un soleil de plomb. Pour Arène comme pour les authentiques “pays”, la Provence c’est plus qu’une région, c’est un état d’esprit !

“Pour peindre, il faut beaucoup d’orgueil et encore plus de modestie, confie-t-il aussi. Alors on fait comme on peut en essayant honnêtement de s’approcher du sujet.” Mais pourquoi peindre ? ose-t-on demander : “Pour bloquer un instant de vie, en se disant que chaque seconde est un miracle. Cela peut paraître ridicule, mais c’est ainsi. C’est comme une maladie.” Heureux malade !

Interrogé sur l’avenir de l’art, Jean Arène avoue s’inquiéter aujourd’hui pour les jeunes peintres. L’ancien gamin de la Canebière doute. Lui qui professait qu’il fallait se confronter sans retenue à la fois à l’histoire de l’art, à la peinture, à la nature ; que les anciens avaient déjà tout débroussaillé, ouvert la voie ; qu’il n’y avait qu’à suivre le chemin tout tracé ; lui doute. Comment cette jeunesse, obnubilée par les gadgets et la nouveauté à tout prix, saura dessiner sa propre trace ? “Je croyais que la peinture serait le dernier espace protégé de la perte
de sens et de beauté” se désole l’ex-citadin devenu un vrai rural. Nous sommes aujourd’hui trop asservis à d’éphémères notions de beauté.”

Mais déjà Jean Arène veut retourner à ses moutons, qu’il croque avec affection, et ses yeux voient au-delà de la fenêtre. Toute la personnalité de Jean Arène est là dans ce regard qui tient tête au soleil ; dans ce sourire inquiet qui dit à la fois la beauté et la déliquescence du monde moderne.

  • jusqu’au 18 septembre à Bormes les mimosas
  • Légende photo : Toute la personnalité de Jean Arène est là dans ce regard qui tient tête au soleil, dans ce sourire inquiet qui dit à la fois la beauté et la déliquescence du monde moderne.
  • Source : Figure Libre, Réseau Lalan, août 2008
Posté le 17 août 2008