"Nouvelles sèches de l’interzone", INSTALLATION d’ARNAUD MAGUET, À LA VILLA TAMARIS

Villa Tamaris – Centre d’Art LA SEYNE SUR MER
Rez de Jardin – ARNAUD MAGUET & HIFIKLUB
" Nouvelles sèches de l’interzone " - jusqu’au 9 novembre 2014

Il n’est pas si courant d’avoir l’occasion d’être confronté à un des modes d’expression les plus originaux de la création contemporaine : l’installation. Dans notre région, on peut compléter notre culture et affiner nos perceptions, à Marseille – sur le toit de la maison du Corbu (jusqu’au 31/10) avec DANIEL BUREN, dans la chapelle de la vieille charité avec CHARIU SHIOTO (jusqu’au 19/10). Mais sans aller si loin, à La Seyne où la Villa Tamaris donne l’opportunité à un groupe d’artistes plasticiens et musiciens d’exposer une intéressante création collective.

La surprise, c’est la "forme" de l’œuvre.

On pénètre dans une première salle où nous sommes invités à nous poser sur de petits bancs d’écoliers pour regarder un film de 52 mn en anglais sous-titré annoncé par une affiche "Plans Make Gods Laught : a drift about Alain Johannes" par Arnaud MAGUET & HIFIKLUB.

En même temps, on perçoit, on entend, on sent que quelque chose se passe ailleurs. Quatre salles, quatre œuvres, une seule ? Des câbles noirs, des ombres, des éclats lumineux, des sons… et cependant une sorte d’unité plastique dans l’espace et dans le temps nous conduirait à penser qu’on est en présence d’une seule œuvre. Serions-nous dans une "INSTALLATION" ?

Soit. Mais encore.

Au cours des années 60, le concept d’œuvre d’art comme "environnement" fut élaboré à partir de l’idée que le spectateur doit habiter l’œuvre au même titre que le monde – l’art fusionne avec la vie – l’architecture, les arts de la performance ainsi que de nombreuses orientations dans les arts visuels contemporains peuvent être considérés comme les origines de l’installation qui intègre les acquis apportés par les successives avant-gardes : le décloisonnement des disciplines artistiques, l’assemblage de matériaux hétéroclites et para-artistiques, et surtout la participation du spectateur. C’est le lieu d’une réflexion sur le "cadre" où l’art se manifeste, d’une interrogation sur les codes qui conditionnent les relations entre l’art et le spectateur, lequel en se déplaçant découvre l’impossible globalité de l’œuvre. Pour l’aider dans sa reconstitution, il lui faudra structurer, mémoriser ses réseaux multiples, se laisser aller à l’expérience de l’art (il faut noter aussi que l’installation est un art éphémère qui porte en lui la pensée de sa propre destruction ou de sa fin).

L’étonnement, ce sont les matériaux.

Des "choses" sont là, objets sans qualité mais très présents : des dispositifs animés, rudimentaires, bricolés – sur un vieux tourne-disque un miroir

renvoie la lumière éblouissante et hachée d’un projecteur, sur cet autre, ondule pathétiquement un 33 tours définitivement muet. Ce qui peut tenir lieu de socle à cette "sculpture", ce sont des caisses de transport utilisées pour les régies de spectacles, dans lesquelles sont encastrés deux moniteurs vidéo, en manière de bas-reliefs historiés aux pieds des statues antiques, ou de prédelles dans les tableaux primitifs. Et aussi, des caméras, des micros, quelques éléments de salon récupérés, des affiches illisibles, des miroirs, un miroir entouré de rotin… et puis des câbles noirs, partout. En fait, ces objets jouent le rôle de détonateur, ils ne sont qu’un prétexte, un rapport au réel pour nous permettre de mieux vivre l’espace – les véritables matériaux, ce sont les images et les sons, la lumière et l’ombre, le rêve et la réalité, l’espace et le temps.

Et bien sûr, se pose l’inévitable question qui fâche : c’est de l’art, ça ?

Peut-être que non, peut être que oui, car au-delà de nos goûts personnels et de l’aspect anecdotique, les problématiques rencontrées sont celles qui se posent depuis toujours dans la création artistique. Laissons-nous donc aller à l’expérience de l’art puisque nous sommes dans une installation, vivons simplement l’espace de l’œuvre : "Il est permis de rêver, il est recommandé de rêver. Sur les livres et les souvenirs. Sur l’histoire et sur la vie".*

Et si, passés d’une lumière "naturelle", solaire (celle du film), à la lumière artificielle des miroirs et des projecteurs, on se laissait éblouir, aveugler par le passage de la lumière à l’ombre ;

si on se laissait conduire au rythme des éclats vers un monde inquiétant, où l’obscurité est une menace. Et si, comme le Minotaure (est-ce lui entraperçu dans la vidéo ?), on était entraîné dans un parcours initiatique où la réalité tangible est intermittente, dévoilée, effacée. Et si les câbles étaient là, comme des fils d’Ariane, afin de nous conduire vers une issue. Et si on n’était pas dans un train fantôme de Foire du Trône mais dans un espace de création artistique…

On débouche, dans la dernière salle, sur un grand vide. La clarté est fragile, venant d’ombres et de reflets fugaces projetés sur les murs à partir d’un dispositif enfantin. Et si, en fait, on était au cœur de la problématique première d’une œuvre : le simulacre, l’illusion, la réticence de l’image à se fixer ? C’était quoi déjà, cette caverne mythique où les hommes prisonniers tournant le dos à la lumière prenaient pour les choses même, leurs reflets ou leur ombre ?

Lilyane ROSE

*. Aragon, cité par Robert Bonaccorsi dans le quatre pages qui accompagne la visite de l’exposition.
Bibliographie :" Installations – l’art en situation" – Ed Thames & Hudson – 1997.

Jusqu’au 9 novembre, entrée libre, 295 avenue de la Grande Maison, 83500 La Seyne sur mer
www.villatamaris.org

Texte de Lilyane ROSE, photographies et mise en page MFLM

Posté le 22 octobre 2014