PICHA : De "La honte de la jungle " à.... - dessins, peintures à la Villa Tamaris -

Jusqu’au 29 novembre, Villa Tamaris, La Seyne sur mer

Vous vous rappelez, dans les années 60 à 80 du siècle dernier, Picha et ses dessins caricaturaux, irrévérencieux, mordants, dans Hara-Kiri, The New York Time, ou La Libre Belgique ? Puis la caricature de Tarzan avec "La honte de la Jungle" et tant d’autres dessins animés, puis "Cartoon Circus" (1972), qui nous ont tant fait rire, avec les Reiser, Wolinski, Siné ou autres Cabu de Charlie Hebdo ? Nous avons la chance de pouvoir (re)voir une riche rétrospective Picha à la Villa Tamaris. Le grand Picha.


Avec, dans une salle, ses peintures récentes.

Laissons Robert Bonaccorsi, directeur de la Villa Tamaris et commissaire de cette exposition, nous parler du Picha d’aujourd’hui dans un article intitulé "The figure in the carpet" :

"... A partir de 2007 (j’emprunte ce trait et me l’approprie sans vergogne), Picha dessinateur “satyrique”3 va se consacrer exclusivement à la peinture. Des huiles sur papier, diaphanes, estompées, venues d’au-delà les apparences. De nulle part ! Picha en entreprenant ce travail s’est donné sinon des contraintes tout au moins un cadre d’intervention. On y retrouve la recommandation de Léonard de Vinci d’utiliser les façades rongées par le temps, les taches de couleurs et la lèpre même des murs pour y trouver l’inspiration. Ou comment discerner des chimères, des fantasmagories dans les replis concrets de l’espace et du temps. Cette manière de regarder, d’entendre l’indicible se fonde sur l’échange des regards, entre le constat, “le faire” et le “comment c’est fait”. Un processus, une dialectique du hasard objectif. Picha exprime ainsi les rapports entre l’image et le rendu peinture. Il s’inspire de photographies captées, dérobées au flux d’images que les écrans de télévision déversent en un flot irrépressible le jour et la nuit, pour s’interroger sur la figure. Le “figural” plus justement. S’inventer un monde, créer un univers à partir d’une lisière incertaine, en détournant plastiquement les images, créer le trouble de la représentation. Figure, fiction, image, leurs contradictions, leurs relations sont au coeur de cette problématique.

Ces visions décalées, brouillées peuvent évoquer le travail d’Alain Jacquet, particulièrement dans cette translation de l’abstrait et du concret, “l’un dans l’autre et réciproquement” dirait Georges Bru dont l’oeuvre dessinée présente des affinités électives avec la peinture de Picha.

Partir d’un détail, d’une vision, l’agrandir, utiliser l’impression numérique avant le travail à l’huile, changer d’échelle, revenir à l’impression permettent à Picha de redonner une nouvelle vie plastique, une humanité autre à ses figures évanescentes.

Il manipule le grain de la photo, bouscule son essence et sa logique pour aboutir à une oeuvre évocatrice, fantomatique où la figure affirme sa présence conjointement avec son effacement. Dans un dessin de presse des années 60, Picha met en scène un peintre manchot, peignant obstinément avec sa langue des mains.

Au-delà de l’humour (noir) je crois que l’on peut découvrir dans ce brillant raccourci une constante dans la démarche de Picha. L’appréhension du réel s’effectue dans la douleur et dans l’absence. Le réel se découvre uniquement dans la mise à distance, la représentation, au travers d’une image fugace, décalée, incisive, réflexive qui sans cesse se renouvelle. En refusant la logique mimétique, Picha joue sur l’apparition et la disparition, le visible et l’invisible, sans tomber dans un pur formalisme. Il ne faut surtout pas se fier aux apparences. Ainsi depuis toujours, de l’enfance à la peinture, du dessin à la réalisation, Picha traque inlassablement d’un oeil acéré les secrets derrière les portes et les motifs dans le tapis".

J’ajouterais que, lors de notre rencontre, Picha expliquait pourquoi la peinture, son nouveau médium, résonnait mieux avec son intime nécessité de créer : la peinture a ce caractère iconique et éternel (on s’arrête devant une peinture pour en découvrir sans cesse le sens et la portée, le temps n’a aucune importance) alors que la photographie, le dessin animé ou le film, qui, eux, ne durent que le temps de l’histoire, de l’anecdote parfois, sont linéaires, fugaces, éphémères. Dans la peinture, au contraire, il y est question du temps, d’un temps qui dure, s’étend, se prolonge... le temps qu’on veut.

Cette exposition à voir ou revoir, pour en savourer aussi bien ses peintures que ses caricatures qui restent pourtant d’actualité, dure jusqu’au 29 novembre. Ne serait-elle pas un bel hommage rendu à Charlie Hebdo et ses dessinateurs ?

Villa Tamaris centre d’art, 83500 La Seyne sur mer
04 94 06 84 00
www.villatamaris.fr
Ouvert tous les jours de 14 à 18h30, sauf lundis et jours fériés

crédit photographique mflp et © Picha, courtesy Villa Tamaris

MFLP

Posté le 3 octobre 2015