Une réflexion pratique sur l’art

Le catalan Joan Rabascall, un des précurseurs de l’art modeste et de l’art sociologique, investit les trois niveaux de la Villa Tamaris pour une réflexion aiguisée et ciselée sur l’art en forme d’allégorie haute en couleurs et en sens.

Cette rétrospective entre d’ailleurs en parfaite cohérence avec la programmation du Centre d’Art du sud de la France qui depuis ses débuts, lie ses interrogations et ses recherches au perpétuel renouvellement de la peinture. En effet, au même titre que Yoko Ono, ou Jean-Jacques Lebel accueillis précédemment à La Seyne sur Mer, Joan Rabascall participe à cet examen et en parle à sa manière, puisant sa matière première dans la publicité, les journaux et la télévision.

A l’origine photographe, Rabascall travaille ses oeuvres comme le ferait un peintre. Ses toiles qui en appellent du reste à des procédés et techniques complexes font jaillir de multiples questions. Devant ses monuments à la télévision on se prend à considérer l’objet comme autre, à le voir comme un oracle que l’on consulte avec l’écoute religieuse qu’il convient ou encore comme un dieu à qui les sacrifices en vies humaines n’étancheraient jamais sa soif de sang, de malheurs et de guerres. La parole d’évangile est rudement concurrencée par ces messagers électroniques statiques et pourtant si remuants ! Plus amusantes, les mini-télévisions sont des constructions qui, par leurs détails, accrocheront les publics les plus jeunes confirmant si besoin était que l’intérêt pour l’art n’attend pas.

Pour Rabascall, ces objets sont étroitement associés à son parcours puisque, enfant, on les lui offrait comme souvenirs touristiques. Une collection hétéroclite s’est constituée naturellement pour devenir ensuite une manie quasi obsessionnelle.

Chaque voyage est l’occasion de la compléter et les amis ne manquent pas d’alimenter l’assortiment destiné à terme à être accumulé, photographié et figé dans des montages...photographiques. Toutes aussi ludiques, ses séries de « Paysages fin 20ème siècle » captent le regard et montrent leur transformation par une civilisation industrielle et urbaine, mutation accélérée par le développement des transports et des communications. Ces paysages deviennent peu à peu de véritables zones de service et les repères classiques que ce terme jadis évoquait - scènes romantiques ou de carte postale - ne collent plus du tout avec cette réalité.

Au passage, un clin d’œil amical est adressé aux peintres du dimanche. Eux qui ne jurent que par les paysages idylliques, les champs de lavandes et autres images d’Epinal, une question vole en suspend : où les trouvent-ils ? Feu la nature se transforme en support publicitaire et, suprême ironie, les affiches se nourrissent de la pâte à papier faites d’arbres que ces dernières remplacent. La boucle est belle et bien bouclée. Parce qu’elle sert de support publicitaire, la nature forme le lien vital entre le paysage et la communication de masse.

Et voilà ce qui est intéressant dans le travail de Rabascall. C’est à la fois une réflexion ludique et sérieuse sur l’art, une certaine dérision sur les choses et les gens doublée d’une nette implication sociale. Avec sa façon de présenter ses oeuvres, qui relève également de la pleine conception, c’est enfin à une mise en scène exaspérée qu’il nous convie, à une réflexion acide et juste sur notre cheminement étroitement balisé dans un environnement humainement modifié.

Posté le 15 janvier 2003

« Joan Rabascall Une rétrospective 1967 - 2000 » du 24 janvier au 23 mars 2003, vernissage le jeudi 23 janvier de 18h00 à 21h00, entrée libre