LE CENTRE POMPIDOU METZ # 2 : "Chefs-d’oeuvre", une prestigieuse exposition inaugurale -

Exposition inaugurale du Centre Pompidou Metz : "Chefs-d’oeuvre ?"

voir aussi " Le Centre Pompidou Metz #1", par Pierre van Tieghem

AU FAIT, C’EST QUOI UN CHEF D’OEUVRE ?, par Marie-Françoise Lequoy-Poiré

Quoi de plus audacieux pour une exposition que de réunir sous le même vocable « chef-d’œuvre » 800 œuvres*, même si elles sont emblématiques et prestigieuses ? En effet, cette notion, remise en cause par les « ready made » de Duchamp, le « tout est art » de Fluxus ou tout simplement l’air du temps égalitaire de mai 68, était tombée en disgrâce dans le monde de l’art.

Et pourtant, le 12 mai 2010, Laurent Le Bon, directeur du tout neuf, tout blanc et tout beau CentrePompidouMetz, s’empare de ce thème pour l’inauguration ! Sans prendre beaucoup de risque, il est vrai, puisqu’il adjoint au titre un point d’interrogation qui nous avertit bien qu’il nous pose la question !

Et ce  ? constitue la grande force de cette exceptionnelle et didactique exposition couvrant, en quatre chapitres distincts, tout le champ chronologique et tous les secteurs de la collection pluridisciplinaire* du Centre Pompidou : notre visiteur, qui reconnaîtra tout au long de sa visite bon nombre d’œuvres pour les avoir déjà vues dans tel ou tel livre d’art, se trouve ici confronté à l’œuvre elle-même, dans sa matérialité, et comprend bien que, cette fois, il lui appartient de trouver une réponse.

Il profitera donc de ce grand livre d’histoire de l’art moderne ouvert aux pages les plus belles, non seulement pour conforter sa culture iconique et historique, mais aussi pour aiguiser son regard dans ce face à face intime avec l’œuvre ou se laisser surprendre par des œuvres méconnues. À la suite de ce parcours à travers une architecture et une scénographie qui, déjà en elles-mêmes, constituent de véritables chefs-d’œuvre ( ?), il aura envie d’acheter le catalogue** doré sur tranche qui documente de façon claire et érudite chaque œuvre exposée, et qui réunit, autour de la notion de chef-d’œuvre, les textes inédits d’écrivains, essayistes, philosophes, historiens de l’art de renom. Un ouvrage de fond pour sa bibliothèque, qui nourrira sa réflexion et l’aidera à répondre à :

AU fait, c’est quoi un chef-d’oeuvre ?

  • Une œuvre unique, marquant un moment de rupture ou de transformation radicale, sans précédent, sans doute figée à tout jamais ? (Laurent Le Bon)

    ou bien Une expérience des limites ou de frontières transgressées, une œuvre toujours à l’oeuvre, donc jamais close, toujours à refaire, inépuisable, qui, après avoir été pour soi, appartiendrait à tout le monde et reconfigurerait le futur (Georges Didi-Huberman) ?

  • Un tableau qui comporte une part de grâce, de mystère, de génie, de hasard, de quelque chose qui n’est ni rhétorique ni savoir-faire, ni artisanat. Qui nous prend toujours par surprise et nous métamorphose (Charles Dantzig citant Cocteau) ou bien Un simple objet de consommation pour lequel la rencontre amoureuse et le délice d’exclusivité dans le plaisir n’ont pas pu avoir lieu  ? (Didier Semin, pour qui le chef d’œuvre est gâché par le rempart à la fois matériel et psychologique qui s’interpose entre le regardeur et l’œuvre devenue vedette :

    la foule, la vitre, les commentaires, les produits dérivés, puis qui pose la question «  la perfection – à supposer qu’elle existe – est-elle aimable et même désirable ? » et qui préfère de loin ce qui est « entre les chefs-d’œuvre », c’est-à-dire « tout ce qui est susceptible de faire signe à l’amateur, pour peu qu’il ait franchi la porte d’un musée pour découvrir, flâner et s’instruire, non pour vérifier la présence d’un objet qu’on l’a enjoint d’aimer  ». Et enfin qui constate qu’il ne trouve jamais la carte postale de l’œuvre inattendue et aimée…).

  • Une esquisse ou bien au contraire une œuvre où la recherche de la perfection l’emporte sur la spontanéité  ? (Adrien Goetz qui, lui, nous invite à relire la nouvelle de Balzac, « Le chef-d’œuvre inconnu » et nous commente l’installation autour de la fameuse canne de Balzac) ou bien encore L’œuvre d’un autodidacte et primitif tel que « Girl in a Mirror » de Morris Hirshfield, ou le fameux « Arbre rouge » de Séraphine de Senlis ? (Jean-Pierre Criqui, qui aborde ici la problématique d’un art autodidacte naïf face à un art cultivé légitime).
  • Peut-il être Un plagiat, une citation, ou encore une reproduction d’un chef-d’œuvre antérieur, à l’instar des peintures de Jacquet ou Erro ou de nombreux films ? (Cheval Judith Revault d’Allones, qui nous dresse un tableau des rapports entre chefs-d’œuvre et cinéma, entre films-référence parfois oubliés et leur filiation).
  • Un chef-d’œuvre peut-il exister au présent, être contemporain ou bien au contraire lui faut-il un parcours chaotique pour s’affirmer comme tel  ? (Luc Moullet, qui nous propose son film au royaume des chefs-d’œuvre) ou bien est-il une collusion éphémère entre l’œuvre, le contexte de l’œuvre (le cube blanc, le « in situ », l’intervention du curateur), et le spectateur qui ajoute sa propre contribution à la création  ? (Mouna Mekouar, qui, en reprenant le concept du Musée imaginaire d’André Malraux, remet en question la notion de chef-d’œuvre immuable et intemporel).
"Le transi", de Ligier Richier
"La Toussait", d’Emile Friant
  • Ou bien, sans théoriser, un chef-d’œuvre ne serait-il pas tout simplement une œuvre qui provoquerait spontanément chez tout un chacun une émotion plus intense, un véritable coup de cœur et pour laquelle se dessinerait une sorte de consensus non raisonné et non raisonnable ? Comment ne pas penser à ces deux œuvres peu connues hors Lorraine : le tableau «  La Toussaint » d’Emile Friant (1863-1932) du Musée de Nancy et le moulage « Le Transi  » de LigierRichier (1500-1567) du musée de Bar-le–Duc, deux œuvres qui retiennent un très long moment le regard de la quasi-totalité des visiteurs, surpris, questionneurs, puis fascinés, deux oeuvres qui, dans cette exposition, rivalisent avec « L’aubade » de Picasso, la « Roue de bicyclette » de Marcel Duchamp, la « Compression « Ricard » » de César ou tant d’œuvres emblématiques et prestigieuses ici présentes - ? Ou bien, en définitive, un chef-d’œuvre ne serait-il qu’un mythe ?...

Marie-Françoise Lequoy-Poiré

  • * Peintures, sculptures, installations, photographies, films, design, architecture, arts graphiques, vidéo : 700 œuvres majeures de la collection Pompidou, jalons de l’histoire de l’art en France depuis 1905 – plus une centaine d’œuvres prêtées par les plus grands musées. (cf. ***) Citons en vrac : Braque, Pevsner, Matisse, Malevitch, Miro, Dali ou Picasso ; Duchamp, ManRay, Kosuth ou Bourgeois ; Nemours, Molnar, Morellet, ou Mosset ; les méridionaux César, Ben, Arman, Vasarely, Klein, de Staël ou Filliou ; les contemporains S. Calle, Boltanski, Fleischer, M. Couturier (vu à Toulon), Veilhan, Penone, Nauman ou Andre, et tant d’autres incontournables, sans oublier les extraits de films de grands cinéastes, les maquettes de musées des plus grands architectes et les livres-culte prêtés par la bibliothèque Kandinsky.
  • **49 €, une belle idée de cadeau pour le Père Noël
  • *** Reportez-vous à l’article " Le Centre Pompidou Metz #1", par Pierre van Tieghem, http://www.yaquoi.com/LE-CENTRE-POMPIDOU-METZ-1

Crédit photographique : MFLP. Courtesy : MNAM, Centre Pompidou Paris, Centre Pompidou Metz, Musée Rodin, Musée des Monuments français, Musée des Beaux-arts de Nancy. Nous regrettons de ne pas pouvoir vous montrer plus d’images d’artistes vivants ou morts depuis moins de 70 ans, les lois étant ce qu’elles sont... C’est dommage pour eux et pour nous, bref pour tout le monde, mais devrait vous inciter à consulter le catalogue !

Légendes :

  • 1- Bruce Nauman : "Dream Passage with four Corridors", 1984, collection MNAM, photographie MFLP
  • 2- Galerie 3, "Chefs d’oeuvre à l’infini", courtesy Shigeru Ban et Jean de Gastines architectes, photographie MFLP
  • 3- Martial Raysse : "Raysse Beach", 1962, installation, collection MNAM, photo MFLP supprimée
  • 4- Oeuvres de Marcel Duchamp, dont la fameuse "Roue de bicyclette", 1913, les "Photosreliefs", 1935, la "Rotative plaques de verre", 1920, collection du MNAM, photographie MFLP
  • 5- Rodin : "Balzac, robe de chambre", 1897, plâtre, Musée Rodin, donation Rodin, photographie MFLP
  • 6- Pevsner : "Maquette de la colonne développable de la victoire", 1955, sculpture, collection MNAM, photo supprimée
  • 7- Séraphine de Senlis : "Arbre rouge", 1928, huile, collection MNAM, photo MFLP supprimée
  • 8- Ligier Richier : "Le Transi", vers 1550, moulage de la collection du Musée des Monuments français, photographie MFLP
  • 9- Emile Friant : "La Toussaint", 1888,huile, Musée des Beaux-arts de Nancy, photographie MFLP
Posté le 17 décembre 2010