LE CENTRE POMPIDOU METZ #3 - A CHACUN SON CHEF-D’OEUVRE -

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III # 1 - A CHACUN SON CHEF-D’ŒUVRE, par Pierre van Tieghem

Pour mériter l’accès au label de chef-d’œuvre, une œuvre doit atteindre une forme de consensus collectif (le grand public ou seuls les spécialistes ?). D’ailleurs, apportant sa réponse à la sempiternelle question de définir l’art, Marcel Mauss avait l’habitude de dire qu’une œuvre « d’art » était celle reconnue en tant que telle par une société donnée à un moment donné. Or, la notion de chef d’œuvre ne peut échapper à une définition préalable de l’œuvre d’art, puisqu’elle en est le corollaire d’excellence. Attribuer la médaille de chef-d’œuvre (c’est-à-dire agréger une œuvre) relève de critères qui s’affirment comme suffisamment admis pour être partagés par l’ensemble des juges. Il faut donc laisser son ego de côté.

Si l’on suit Walter Benjamin, l’œuvre d’art est celle qui nous change intimement. Sa rencontre produit en nous un « avant » et un « après ». Le chef-d’œuvre est alors sans doute celui qui transpose ce profond changement à l’échelle collective ou du moins dans le champ intrinsèque de l’histoire de l’art, dans un premier temps. Car ce n’est qu’ainsi labellisée que l’œuvre quitte le champ restreint de l’art pour entrer dans l’universel (cf. la notion de patrimoine de l’Humanité).

À l’aune de tels critères, j’ai mesuré dans l’exposition bien peu d’œuvres aptes à postuler à son titre. Beaucoup me bouleversent ou me questionnent, mais si elles me touchent personnellement, elles ne concrétisent aucun jalon fondamental de l’histoire de l’art.

Une œuvre, pourtant : le très discret Chèque (1959) d’Yves Klein, en fait un Certificat de cession d’un volume de sensibilité picturale immatérielle. Rappelons les faits : l’acquéreur de cette œuvre (multiple) rejoignait l’artiste sur les bords de la Seine avec 25 grammes d’or fin que ce dernier lançait en l’air au-dessus du fleuve avant de lui remettre un tel certificat.

Et cependant, si W. Benjamin insiste sur la nécessaire présence de l’œuvre authentique, seule garante de son unicité, seule à même de véhiculer l’« aura », comment alors faire accéder ce qui n’est que trace, souvenir, au rang d’œuvre – pire, de chef-d’œuvre ? C’est que précisément le geste de Klein, en anéantissant la permanente matérialité de l’œuvre, dote celle-ci d’une aura d’autre nature. La force de l’acte - jointe à la poésie de l’éphémère - alimente la mémoire collective par delà les générations. Une nouvelle forme de création est reconnue possible et l’on sait quels prolongements prolixes elle va engendrer.

III # 2 - A CHACUN SON CHEF-D’ŒUVRE, par Marie-Françoise Lequoy-Poiré

Mon chef d’œuvre ? Je dirais mes chefs-d’œuvre, puisque, devant une telle profusion de pièces historiques, j’ai décidé d’un second voyage à Metz : d’abord pour revoir le contenant, ce magnifique bâtiment tout blanc à l’architecture audacieuse, légère, aux volumes inattendus, aux scénographies surprenantes (le choc est comparable à celui que j’ai ressenti lorsque j’ai vu le Centre Pompidou pour la première fois, il y a déjà 33 ans !). Ensuite pour revoir absolument et longuement le contenu et pouvoir ainsi répondre à la question posée par Laurent Le Bon.

Après mainte hésitation entre un Picasso, un Sophie Calle ou un Rodin, mon choix s’est porté sur une série d’Aurélie Nemours.

Aurélie Nemours, "Sans titre (ligne)", 9 carrés 80X80 cm. 1988, collection MNAM

Pourquoi une peinture géométrique abstraite ? Parce que je sais qu’elle pourrait vivre à mes côtés, chez-moi, sans jamais paraître usée par le temps, usante par son message, insupportable par une esthétique surannée. Parce que, comme Aurélie, j’aime le carré, le nombre, le rythme et la couleur, tout ceci qui constitue « l’alphabet plastique de l’univers » et qui résonne en moi ; j’aime cette juxtaposition de monochromes, ces jeux de contrastes simultanés, ces « instants de couleur ». Cette ligne serait là pour me parler à chaque instant de beauté, d’équilibre et d’harmonie. Et même si cette œuvre n’a pas révolutionné le monde de l’art, parce que venant après le carré de Malévitch ou les monochromes de Newman et de Klein, elle n’est ni avatar ni redite, elle est là, évidente, simple miroir, tableau de méditation, toujours à recréer, et c’est en cela qu’elle mérite à mes yeux le statut de chef-d’œuvre. « Il faut qu’un tableau flambe et c’est tout », et ce feu mystique qui transforme une simple juxtaposition de 9 carrés monochromes en chef-d’œuvre et qui a l’ambition de dire silencieusement le monde, je l’aime.

* En italiques, les termes employés par Aurélie Nemours (Paris, 1910 -2005)


A vous maintenant de découvrir votre Chef-d’oeuvre au CPM, après 5 ou 6 heures de TGV … et d’apporter à Laurent Le Bon votre réponse. Pour préparer votre visite : http://www.centrepompidou-metz.fr/ - Fermeture de « Chefs-d’œuvre ? » en plusieurs étapes : la Grande Nef, le 4 juillet 2011, la Galerie 3, le 17 janvier 2011, la Galerie 1, le 9 mai 2011, la Galerie 2, le 29 août 2011.


Photographie MFLP, courtesy Centre Pompidou, MNAM

Posté le 21 décembre 2010