Leonardo Cremonini : " une rétrospective 1953 - 2000" à la villa Tamaris

Cremonini, ni ceci, ni cela, mais beaucoup plus, voici un très mauvais jeu de mot pour introduire l’un des plus grands peintres italiens actuels. Mais comment parler d’un artiste aussi gigantesque lorsque de grands poètes, philosophes ou écrivains tels que Eco, Debray, Calvino, Moravia ou Althusser ont si bien écrit sur l’oeuvre ?

Cremonini, l’inclassable, fait partie de ces artistes hors normes de l’art du vingtième siècle, tel les grands Balthus, Giacometti, Hopper ou autre Bacon. Représentatifs d’une peinture autre, narrative, certes, mais ni figurative ni abstraite, ni surréaliste ni expressionniste ni hyperréaliste, jalons rares donc précieux d’une peinture-peinture trop vite mise au rebut par l’ambiance institutionnelle dite contemporaine.

Cremonini ? Au cours de mes déplacements, j’ai bien vu trois ou quatre de ses expositions personnelles, sans compter les FIAC ou autres manifestations internationales qui le présentaient. A chaque fois, j’y ai puisé une émotion nouvelle, à chaque fois, j’en suis sortie troublée, fascinée.

Tout peut y sembler jeu ; le sujet, la pratique picturale. Leonardo Cremonini le surdoué se joue de tout : de la lumière, de la composition où l’abstraction rejoint une figuration des plus sophistiquées, des couleurs et de la matière, toujours renouvelées et transformées, des reflets et de la transparence, des formes, lignes, carrés, cercles, triangles, durs, toujours en grande tension. De tout cela, il se joue, pour nous montrer des jeux d’enfants, jeux d’eau, jeux de mains, jeux de pieds, jeux de miroirs et de vitres, jeux de voyeur, jeux en arrêt, figés, fixés.Tout y est jeu, mais rien n’y est ludique. Jeu grave, plutôt, jeu de colin-maillard où le regardeur rejoint l’aveugle et le muet, cherche derrière ses lunettes, sous son bandeau ou sous son masque l’issue, le chemin, le pourquoi, jeu philosophique ou métaphysique, où le spectateur devenu voyeur regarde le voyeur, et vice-versa, jeu de regards dévoyés qui voient enfin, jeu angoissant qui conduit au vertige d’une nouvelle vision débarrassée des oeillères. A la villa Tamaris, cette fois encore, le miracle a eu lieu : un détail important qui m’avait jusque là échappé se révèle, me saute aux...yeux : les petits trous ronds, (oeillets, anneaux), ces trous qui laissent voir ce qu’il y a derrière ...pour peu que j’y approche mon oeil , et me vient à l’esprit un passage du dernier roman de Paul Auster* : "L’univers était plein de trous, de petites ouvertures de non-sens, failles microscopiques que l’esprit pouvait franchir et, une fois qu’on était de l’autre côté d’un de ces trous, on était libéré de soi-même, libéré de sa vie, libéré de sa mort, libéré de tout ce qu’on possédait." Ces trous que sont aussi les yeux. Jeux d’yeux - grands ouverts, comme ceux des enfants -.

Faites comme moi, allez déchiffrer les énigmes de la peinture de Cremonini, puis laissez-vous envoûter, transporter, séduire et troubler, obséder. Méfiez-vous, le risque n’est pas nul,vous en rêverez la nuit.

"Prenez-y garde. Cremonini restera." ( Regis Debray)

La Villa Tamaris a eu l’excellente idée de faire de cette exposition une rétrospective à rebours : le second étage nous donne à voir des toiles des années 1950 qui, si elles n’annoncent pas de façon visible l’évolution picturale de Cremonini, n’en sont pas moins d’une grande force. Plus on avance dans le temps, plus on observe chez Cremonini une peinture épurée, qui se débarrasse petit-à-petit de ce qui pourrait sembler anecdote ou redondance, pour arriver, dans les dernières années, à un essentiel existentiel.

Cremonini est né à Bologne en 1925, il a beaucoup exposé à New-York et en Europe, il vit à Paris et alterne avec des périodes de travail en Italie, face au Stromboli , en Andalousie, à Trouville. Ses oeuvres figurent dans les collections des plus grands musées du monde.

*"Le livre des illusions", éditions Acte Sud

Posté le 30 juillet 2002

Exposition @@@@@
Catalogue @@@@@ : tout y est - bravo pour la reproduction des couleurs

photographie 1) "les impertinences de l’ombre" 1992 - 1994, 147 x 114
photographie 2) "les beaux jours" 2001, 89 x 68