"42,84 km² SOUS LE CIEL", exposition photographique de Jacqueline SALMON à l’Hôtel des Arts

C’est à Toulon, 236 bd Maréchal Leclerc
C’est jusqu’au 24 avril, du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Entrée libre

"42,84 Km² SOUS LE CIEL"

"Toulon mode d’emploi"
par Lilyane ROSE

Avec cette dernière exposition, l’Hôtel des Arts réaffirme son engagement artistique autour des questions urbaines, plus particulièrement en Méditerranée*. Elle est le fruit d’une commande sur la ville de Toulon, faite à Jacqueline SALMON, après deux années de résidence à l’Hôtel des Arts. La réponse donnée ne manque pas de nous interpeller : "42,84 km² sous le ciel", c’est-à-dire qu’elle passe d’une superficie circonscrite, officielle, à un espace illimité, parle de ce qui peut se mesurer – les pompons des bérets de marins, par exemple – et de ce qui est sans contour, instable – le vent, le temps, la mémoire-.

L’exposition est comme une invitation à multiplier les parcours, en prenant le temps de détailler un à un les objets de collections photographiés à l’échelle réelle, de scruter les écritures illisibles des registres, de replacer mentalement
dans la ville les photographies de façades, de rues, de boutiques,

d’attribuer à chacun des 107 portraits de Toulonnais leurs noms inscrits sur les murs, d’aller des images proches et opaques des ballons de rugby signés à celles qui révèlent le mouvement du vent. Il nous faudra alors relier entre eux ces fragments captés qui constituent la ville de Toulon. A la manière de Georges PEREC* qui, ayant fait sauter la façade d’un immeuble parisien, dévoilait les pièces et les activités qui se trouvaient derrière, Jacqueline SALMON multiplie les personnages, stratifie les histoires, liste des objets décrits avec la précision d’un catalogue, situe, témoigne : c’est ici et maintenant que les hommes vivent.

S’agirait-il alors, tout simplement, d’un reportage documentaire, d’un banal enregistrement du réel où chacun peut reconnaître quelqu’un, un lieu, un bâtiment, s’arrêter sur la vidéo des supporters du RCT au stade Mayol ? Vraiment ?

On cherchera en vain le mythique cliché de "l’instant décisif" : les images de Jacqueline SALMON sont le résultat d’un processus de projections d’images mentales et de documents photographiques. Elles témoignent d’un travail en amont d’une grande précision, qui ne laisse rien au hasard. La série des portraits, une "série" justement, avec sa rigueur un peu sèche, dépasse l’enregistrement anecdotique de 107 citoyens toulonnais, notables, anonymes, jeunes, vieux, d’ici ou d’ailleurs. Elle rassemble une singularité qui fait de chacun un être unique (ne pas se priver de revoir au rez-de-chaussée les pages zoologiques – les mammifères – extraites du livre des voyages de la corvette l’Astrolabe). Ce qui nous troublera, c’est le sentiment d’égalité qui dépasse la fascination pour la physionomie, la relation entre le regardeur et l’image, le dialogue silencieux dans l’échange des regards ; comme un effet de miroir de ce qui nous constitue nous-même, en tant qu’individu. Nous le devons au traitement de la prise de vue : l’absence d’effets spectaculaires d’ombres et de lumières, une image frontale grandeur nature, le port des personnages (plutôt que la pose), le défi calme qui en fait ressortir l’énergie, le regard vers, plutôt que l’introspection. Jacqueline SALMON ne recherche pas la saisie de l’instant mais une absence d’expressivité universelle à la Piero DELLA FRANCESCA – dont elle ne cache pas ses références directes – qui introduit une notion de durée, subtilement renforcée par la présence stratégique d’images frémissantes et éternelles du vent dans les arbres. Et bien que sans complaisance, malgré cette volonté de distance, l’émotion du vivant est présente. Les questions individuelles, mais surtout les questions de société sont récurrentes dans le travail de cette artiste, comme l’atteste la consultation de sa bibliographie et la vidéo, à voir absolument.

En nous faisant partager l’expérience de sa lente immersion dans la ville, en recueillant dans ces lieux (parfois des "non-lieux") les forces des couches déposées par l’histoire, elle nous fait prendre conscience de ce qui existe autour de nous, êtres, maison, histoire, que l’usage local a rendu presque invisibles. Plus qu’une information/narration, c’est une réflexion sur le temps, la durée, que ses photographies sont capables de révéler. D’où cet impératif du neutre : décrire, s’ancrer dans le réel, la quotidienneté sans pour autant les sublimer. Selon le photographe Guy TOSETTO, seule la photographie peut fabriquer du temps, elle est le médium du privilégié pour révéler une mémoire, [un] processus magique pour conjurer la mort. On est loin du scoop du reportage documentaire et même de la "belle photographie".

C’est en fait l’acte de regarder qui est au cœur de ce travail, et peut-être qu’avec cette exposition serons-nous amenés à regarder une photographie et non un sujet, comme le dit Thomas RUFF.

Lilyane ROSE

* Stéphane COUTURIER : Cité climat à Alger
Villissima, des artistes et des villes.
** Georges PEREC : La vie mode d’emploi – 1978.

portraits de Grâce Valentini et de Michèle le Bras

Crédit photographique©Jacqueline Salmon, courtesy Hôtel des arts :


très beau catalogue avec texte de Jean-Christophe Bailly, 35€


"J’AI VU DANS LA PHOTOGAPHIE UNE ÉCRITURE QUI ME PERMETTRAIT DE DIRE PLUSIEURS CHOSES SIMULTANÉMENT", Jacqueline SALMON


voir aussi http://www.hdatoulon.fr/expositions/index.php
et le portrait de Jacqueline Salmon, photographe, poète et philosophe, brossé dans un article du journal "La Croix" du 2 mars
ou un diaporama sur http://www.la-croix.com/Culture/Expositions/Jacqueline-Salmon-photographe-poete-et-philosophe-2016-03-02-1200743678


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Posté le 2 mars 2016