PREMIÈRE PARTIE :
"D’UNE MEDITERRANÉE, L’AUTRE", A L’HÔTEL DES ARTS, TOULON
C’est jusqu’au 12 février 2017
"D’une méditerranée, l’autre"… des mots qui nous parlent d’eau, de terre, de traversées, de civilisations, de chez nous, d’ailleurs et des autres. Les artistes que nous rencontrerons dans cette exposition sont nés au Maroc, en Libye, à Malte, en Albanie, en Italie, en Turquie, en France, en Algérie, à Jérusalem, en Espagne. Des pays qu’on essayera mentalement de placer sur une carte. Justement ! La première œuvre accrochée est une carte du monde ; un monde aux limites instables, constitué "d’îles" rouges et jaunes, échevelées et saignantes en dérive dans un grand bleu barbouillé. L’atlas de Mario SCHIFANO, comme tous les atlas, nous rend compte de l’espace géographique du monde, de son morcellement et aussi du chaos qui le menace. Mais pas seulement : la gestualité de la peinture, le mouvement continu entre ces sites ou ces "non-sites" nous fait le regard nomade, nous autorise tous les voyages, et même, de rester immobile.
Un atlas, donc, nous raconte l’histoire du monde à travers les déplacements et les conquêtes d’hommes attirés par l’ailleurs. La totalité de la planète est maintenant répertoriée. Que nous reste-t-il à découvrir dans un monde domestiqué qui se rétrécit, sinon des espaces intermédiaires, des passages d’un état à un autre, des voyages intérieurs.
Le récit, comme la carte fait partie des bagages. Tous ces artistes nous racontent des histoires, entre fiction et documentaire ; la vidéo bien sûr est le médium privilégié pour nous captiver, sur un mode poétique, à travers les dictons du passé, des histoires de mer, ou des histoires de terre et d’exil, des histoires d’hommes et de patrimoine culturel.
"D’une méditerranée, l’autre"… un voyage en circuit fermé, entre fixité et déplacement. Que reste-t-il donc à découvrir quand la mondialisation a banalisé les distances, vers quel(s) horizon(s) diriger son regard ? Ces artistes, alors, compriment l’espace – physiquement dans une capsule de plongée (Yuri ANCARONI), en montrant des livres enfermés dans leurs couvertures (Ozlem SULAK), en filmant une place de village comme une scène de théâtre (Adrian PACI) ou l’univers rétréci, qui se rétrécit, des derniers jours d’un vieil homme (Dor GUEZ).
Même la mer, traditionnellement associée à l’évasion, est coincée entre deux images (Malik NEJMI). Quant à la ligne d’horizon, conventionnel moyen d’exprimer la profondeur, elle écrase la surface de la mer chez Arslan SUKAN, ou elle est réduite, reléguée dans l’espace contraint des photographies de Marie BOVO. Et comment mieux raconter la lutte de deux pays pour un territoire que dans les cinquante pages de Joseph DADOUNE, envahies de graphismes brouillés, barrées de bandes de scotch noir ou gris. Chez Belkacem BOUDJELLOULI aussi, il y a plus de repères, le sol et le ciel ne sont pas situés - il n’y a pas d’horizon - au propre comme au figuré.
S’il n’y a plus d’espace à découvrir, il nous reste au moins ceux du temps et de la mémoire : le temps compté du calendrier de Joseph DADOUNE, le temps arrêté de la civilisation occidentale chez Mark MANGION qui en fixe les symboles, ou tout simplement le temps qui passe, ramené à une journée, dans les intérieurs de Marie BOVO.
Les "voyages organisés" par L’hôtel des Arts ne peuvent nous laisser indifférents. Une fois encore, les artistes, par la richesse et la diversité de leurs propositions sont des sismographes, ils sont conscients qu’un certain monde immuable se fissure, que l’ordonnance des choses est bousculée. Et c’est avec une légère mélancolie et une inquiétude diffuse que nous retournerons à notre temporalité et à notre espace quotidien et immédiat.
Lilyane ROSE
Photographies du vernissage et mise en page : MF Lequoy-Poiré
DEUXIÈME PARTIE :
"D’UNE MEDITERRANÉE, L’AUTRE", AU FRAC MARSEILLE
Un petit texte de complément sur « D’une Méditerrannée, l’autre"
par Thierry AZAM
Vu la seconde partie de l’exposition "D’une Méditerrannée, l’autre" au FRAC Marseille (ou la première, tout dépend), exposition dont la BANCO NAZIONALE del LAVORO (filière italienne de BNP Paribas) est l’initiatrice .
Et justement, saute tout de suite aux yeux le fait que personne ne travaille autour de cette Méditerrannée ; étudiants qui déambulent, migrants qui géographisent leur périple, jeux de plage, hommes en prière, hommes qui guettent, hommes au rebut, écrans muets, footballeurs... comme d’habitude, quoi. On en vient à se demander si les artistes, leur naturalisme bienveillant et leur sociologisme compassionnel, ne sont pas eux-mêmes les sujets d’une telle exposition ; artistes qui, comme chacun sait, ne travaillent pas (d’ailleurs, vu la faible intensité des propos, la médiocrité des images et la nullité des traces sonores.. ceux-ci donnent ici amplement raison à ce sous-texte).
Alors comme souvent, un travail, un seul illumine l’ensemble. Ici, le lent travelling parfaitement bouclé de Stéphane Couturier, dans cette curieuse arène rectangulaire conçue par Fernand Pouillon, et intitulé "Cité Climat de France, Place des 200 colonnes". Tout y est dit clairement, ni travail, ni banque, ni femmes non plus (sauf une vague silhouette de dos), Et là où il n’y a ni travail, ni banques, ni femmes, il y a désoeuvrement, épaves, ordures et racaille. Et c’est bien ce que les financeurs veulent entendre, et entendre dire, et redire, et ressasser par leurs artistes.
Thierry Azam
C’EST JUSQU’AU 12 FÉVRIER