Exposition Yvan MESSAC à la Villa Tamaris, La Seyne sur mer, jusqu’au 9 mars
"PENSER ET CREER UN ART QUI PARLE A TOI, A MOI, A EUX, AUX AUTRES".
Ivan MESSAC est un artiste polymorphe, inclassable, mais inscrit dans la communauté artistique de son temps. Dès le début des années 70, il a participé à l’aventure de la Figuration Narrative, en tant que peintre, puis dans les années 80, comme sculpteur, ou plutôt "découpeur de couleurs" selon la pertinente formule de Pierre TILMAN. Issu de ces décennies de recherches qui puisaient dans l’idéologie de mai 68, le formalisme minimal et la réflexion sur l’objet, il a développé son propre langage plastique : un croisement maîtrisé des influences du Pop Art, des Avant-gardes Futuristes et Constructivistes, sans négliger le rapport au réel. Hors des modes et des mouvements, ses œuvres s’imposent avec évidence. Dépassant le simple récit, l’évènement, l’anecdote, elles relèvent de l’expérience, interrogent le monde, l’art, son histoire, l’éthique, l’esthétique, les mythologies contemporaines, décryptent la société médiatique. Sa production devient un réceptacle où se confrontent icones, images, signes, couleurs, légendes, souvenirs. Avec une véritable éloquence visuelle. Ces couleurs, ces formes, ces matières, la qualité du savoir-faire ont sur nous un grand pouvoir de séduction, renforcé par un côté énigmatique. Et il ne faut pas compter sur les titres des œuvres pour nous donner des clés ("tambourin mais pas une pipe", "la femme fluorescente et l’homme décoratif", "enlèvement de Victoire par les amérindiens"), ou peut-être !
"Fond bleu", 2010, 130x162cm
Il y a, certes, chez cet artiste un profond engagement à produire des œuvres capables de modifier notre regard sur le réel, mais aussi l’émergence d’une sorte d’autoportrait, caché subliminal, révélé dans l’entretien avec Robert BONACCORSI pour son catalogue (*). A la question "Et aujourd’hui, qu’es-tu devenu, que reste-t-il de tes amours ?", Ivan MESSAC répond : " C’est dans le miroir que je me vois, alors comment en sortir ? Pourquoi y être entré, me direz-vous ? ça je le sais : pour voir si j’y passe, pour voir ce qui s’y passe !...".
Et il se voit en MAÏAKOWSKI auquel il prête son apparence sur une bande son du poète (vidéo – 1989) ou en PESSÕA (2007), personnage secret aux multiples identités. Mais aussi dans toutes les toiles tendues comme des miroirs. Les personnages posent frontalement, (nous) le regardent ; une image renvoyée, mais une image perturbée ; toujours cette éternelle problématique de l’apparence, de la réalité, de l’illusion ; il ira même jusqu’à travailler les (ses) portraits en bas-relief ("Clic clac 3D" 2004) mais brouillera tout en recouvrant les volumes d’une trame peinte de couleur monochrome, jaune, rouge, bleu… ("monsieur sparadrap", "Punch Punch", 2004). Un miroir est une surface plane, lisse, verticale, elle renvoie une image forcement insaisissable. Il reflète la forme (moi, lui), mais aussi le fond, ce qu’il y a derrière – souvent rien, ou perturbé, fragmenté, jusqu’à me faire douter : suis-je la forme ou le fond ? et puis, que se passe-t-il derrière le miroir ; y-a-t-il seulement un espace ? "Impression Prime Time", 2005, pourrait apporter une réponse : la télévision est bien un reflet de la réalité, un miroir du monde, comme on dit communément ; mais revoilà encore ce problème de la forme et du fond (ici la confusion est totale) du réel et du figuré, du vrai et du faux. "Pour voir ce qui s’y passe", pour entrer, il faudrait construire ; il y aura bien alors un dedans et un dehors, un intérieur et un extérieur, comme dans une sculpture par exemple ?
"Neptune dans la lagune", 2010, acrilyque sur toile, 130x422cm
Les pièces exposées à la Villa Tamaris sont faites de matériaux industriels, des plaques d’aluminium découpé, dont on voit la tranche. Elles se déploient (se déplient) dans l’espace comme de grandes maquettes, des sortes de totems colorés, lisses, opaques et denses. On "lit" d’abord la forme, étrange, simple, presque symétrique, évidée par endroit. La couleur apporte du mouvement à la stabilité du volume ; et ce n’est qu’après un moment d’accommodation que le regard perçoit, se rassure en reconnaissant sur les parois une transcription peinte en aplat de sculptures célébrissimes : les esclaves de MICHEL-ANGE, la Danse de CARPEAUX etc… On peut enfin passer de l’autre côté pour voir ce qu’il s’y passe. Et on ne scrute plus que la sculpture de l’esclave de MICHEL-ANGE (alias "Pinocchio victime du Disco", 2002), que ces flaques de peintures bleues qui paraissent se rétrécir ou se gonfler selon les points de vue. Mais là, surprise : ce n’est pas le dos, l’envers du personnage mais la même image (pas tout à fait, cependant) inversée.
Toujours le miroir ! Et pour ajouter au trouble, on se prend à penser que les formes étranges du support (et étrangères au sujet) pourraient être des éclats de ces cartons d’emballages, avec leurs pliures, leurs évidements d’assemblage, l’emplacement des trous pour le transport. Un bricolage géant qui nous obligerait à une reconstitution mentale des volumes qui ne sont pas ce qu’ils sont mais ce que nous en ferons, ou ce que l’artiste voudrait qu’on en fasse.
"Pinocchio victime du Disco", 2012 acrylique sur aluminium découpé, 213x172x98cm
Ivan MESSAC est entré dans le miroir, il y est passé. A-t-il vu ce qu’il s’y passe ? Il y a à parier que sa curiosité n’a pas été entièrement satisfaite. Pour notre plaisir d’une œuvre à venir.
Lilyane ROSE
Crédit photographique Courtesy Villa Tamaris, libre de droits
(*) Indispensable pour mieux appréhender l’œuvre complexe d’Ivan MESSAC : le catalogue, édité par Acte Sud - des entretiens avec Robert BONACCORSI et une iconographie qui complète l’exposition -.
Rencontre avec l’artiste et signature, le samedi 8 mars de 16h à 18h30.
Exposition jusqu’au 9 mars 2014,Villa Tamaris Centre d’art,
Avenue de la Grande Maison, La Seyne sur mer
04 94 06 84 00
www.villatamaris.fr