Gilles BOUDOT, Photographie, simulacre et fétichisme

Confidences dans un atelier

L’artiste toulonnais a été invité à exposer à la Maison de la Photographie le mois prochain *. A cette occasion, j’ai désiré en savoir plus sur un personnage dont l’œuvre photographique m’a toujours surprise, questionnée et pourquoi ne pas dire déboussolée. Mais qui donc est cet artiste qui, par cette première exposition monographique** dans sa ville natale, nous dévoile le travail de toute une vie, et que nous connaissons bien plus comme professeur d’arts plastiques dans un lycée ou comme fondateur en 2015 de la galerie d’art contemporain La porte étroite *** que comme créateur ?

C’est pour trouver des réponses aux questions que l’on peut se poser devant le mystère qui enveloppe ses images que j’ai désiré le rencontrer dans l’intimité de son atelier.

Imaginez un endroit secret divisé en trois parties : dans l’entrée, un espace exigu où, très méticuleusement et avec ordre, sont rangés une multitude d’outils, parfois fabriqués de sa main, ainsi que plusieurs grosses machines de précision.

Dans la petite partie suivante, une sorte de caverne de magicien, s’entassent dans un désordre apparent quantité d’objets chinés : statuettes et images pieuses, reliques et ex-votos, crucifix, chapelets, animaux empaillés, ustensiles de cuisine, tous usagés, « témoins perdus de vies anonymes, de passés révolus, de prières ou d’espoirs évaporés », me dit Gilles Boudot.

Et dans une troisième partie, un petit plateau de théâtre bricolé avec des dispositifs dignes d’un concours Lépine : le lieu de prise de vue. Après casting, il y met en scène et assemble certains objets pour une nouvelle histoire, avec un autre sens, une autre vision. Dans ce « studio » sont photographiées les compositions sorties tout droit de son imaginaire. Ensuite, les négatifs seront développés dans son labo photo, puis les photographies retourneront dans son atelier pour y être encadrées très soigneusement.

Voilà pour le lieu de genèse de son œuvre, le décor est planté. Décor de théâtre, caverne d’Alibaba, atelier d’artisan. Première question : quel est le lien qui relie les extrêmes, à savoir l’exubérance d’un baroque et fantasmagorique imaginaire et la précision et l’exigence d’un savoir-faire pointu.

Nous déjeunons au bar d’en face, et c’est là que j’en aurai la réponse. Car Gilles Boudot ne refuse pas de parler de lui, de son monde imaginaire malicieux, de son fétichisme. Bien au contraire : j’ai le sentiment qu’il aime se confier. Mais, curieusement et spontanément, Gilles Boudot entame la conversation en me parlant de Sainte Rita, cette Sainte des causes perdues qui est le plus souvent invoquée, idolâtrée dans le monde des croyants et des non-croyants, cette même sainte qu’il aime représenter dans ses photographies d’oratoires. « Pour moi, Sainte Rita représente une partie de moi-même à laquelle je n’ai pas accès… » (ou bien pas encore ?). Voilà pour l’entrée en matière : Sainte Rita qui est, pour lui, de la plus haute importance !

C’est alors que je lui pose la question : pourquoi ces photographies d’ex-votos ? Gilles Boudot me rappelle alors que sa grand-mère maternelle est d’origine italienne et qu’elle lui a transmis de ce pays une culture de l’incantation devant une image, une relique, un oratoire. En tant qu’athée, Gilles Boudot pense que la religion, frisant la superstition, serait pour l’homme une tentative de conjurer le sort. Ses photograhies renvoient donc le spectateur devant ses propres croyances, ses propres mythologies.

Je lui demande alors pourquoi il a choisi d’être artiste. Il me répond : « Je suis né dans la térébenthine, mon père était artiste-peintre, la peinture a été mon berceau ». A la question pourquoi il a choisi la photographie comme medium, il répond : « La profession première de mon père était ébéniste, la seconde peintre, donc je ne pouvais qu’exclure sculpture et peinture. Il me restait à choisir gravure ou photographie, ce que j’ai fait, et j’ai commencé par la gravure ». Son origine paternelle (Jean Boudot, ébéniste et artiste-peintre a fait partie du groupe 50 bien connu des Toulonnais) et maternelle (l’Italie) expliquent donc bien les deux faces de Gilles Boudot : artiste à l’imaginaire insolite et artisan au savoir-faire exigeant.

Sur son côté créatif d’artiste, il me dit : « L’inspiration ? je ne sais pas ce que c’est, ça n’existe pas, c’est un mythe, par contre l’imaginaire, oui, et il n’existe que s’il est nourri par un travail de chaque instant : pour faire naître l’envie, le désir, le rêve, l’idée, une seule recette : travailler, travailler et travailler encore. » (j’ai l’impression d’entendre le professeur).

A la question de savoir pourquoi il nous montre uniquement des simulacres, simulacres de paysages, de phénomènes physiques, d’ex-votos, d’oratoires (ces trois séries feront l’objet de l’exposition toulonnaise dont nous parlera Lyliane Rose dans un prochain article ), il répond qu’il n’est pas question pour lui de photographier la réalité du monde, que ce soit celle d’un paysage, de l’homme ou de la société. Les photographies de reportage sont, pour lui, trop « voyeuses », trop politiques, trop monstratrices. Il préfère les artistes qui le font rêver, tels que Hans Belmer, Joel-Peter Witkin et, plus près de nous, Georges Bru. Par contre, c’est bien à partir d’objets réels que prend forme son rêve. Et si des centaines d’objets s’entassent dans son atelier, c’est qu’ils n’ont pas encore pris leur place dans son imaginaire, mais, me dit-il, « je connais tous ces objets, un par un, je sais où ils sont, et je sais qu’un jour, demain ou dans dix ans, je trouverai pourquoi je les ai choisis ». Gilles Boudot cherche, et trouve… Il se dit aussi chercheur.

Et j’insiste : pourquoi se joue-t-il de nous avec ces simulacres ? « Tout le monde sait qu’une photographie est toujours mensonge et manipule le regardeur, et moi, de plus, je manipule mes images, peut-être pour déstabiliser le regardeur sur la question de la réalité des choses, et donc pour le mettre face à sa propre réalité ou de son propre imaginaire, je suis donc un manipulateur ». Je pense au double sens du terme*** auquel je rajouterais celui de magicien, parfois même de sorcier, celui qui renvoie l’autre dans la profondeur de son inconscient..

A la dernière question : quel est le rapport entre sa production artistique et son amour pour la moto, il me répond « Mon amour pour la moto est le plus fort, parce qu’il me permet de faire des rencontres humaines d’une grande richesse autour d’une même passion, et puis, c’est un bel objet, une véritable sculpture, non ? et le côté fétichiste et érotique de la moto, je le retraduis dans ma production photographique ».

Décidément, Gilles Boudot n’a pas fini de nous étonner ! Il a l’art de relier par de subtils liens les extrêmes, l’oxymore est son leitmotiv, mais, toujours, le fil rouge lui donne la cohérence : désordre-méthode, professionnel-systèmeD, improvisation-organisation , utile-inutile, réalité-artifice, naturel-théâtre, vrai-faux, moto-exvoto, physique-pataphysique-métaphysique, conscient-subconscient, physique-psychique, etc… et laissons-nous embobiner par ce jeu subtil … laissons-nous embobiner par ces images à la fois fantasmatiques, sérieuses et facétieuses.

Attendons son exposition pour, avec ces quelques clés qu’ils nous a données, et avec notre propre imaginaire, pénétrer dans une œuvre aux multiples facettes et aux multiples portes d’entrée.

MFLequoy


* « Tout bien considéré », exposition du 11 février au 15 avril, Place du Globe, Toulon, vernissage le 10 février à 18h30

** Dans la région, on a pu voir les œuvres de Gilles Boudot à l’Espace Peiresc à Toulon, à l’espace art mandat à Barjols, au Théatre de la Photographie à Nice, au Musée de la Photographie à Mougins, à l’Espace Photographique Arthur Batut à Labruguière, à l’Artothèque Port Lympia à Nice, à La Congiergerie à La Motte Servolex, à la Tour des Templiers à Hyères…

*** Galerie « La Porte Etroite  », 3, rue Etienne Dauphin, facebook

**** manipulateur :
• Personne qui manipule des produits, des appareils.
• Prestidigitateur spécialisé dans les tours de pure adresse manuelle.
• Personne qui use de techniques de manipulation mentale.

https://www.facebook.com/people/Gilles-Boudot/1131154168

Posté le 31 janvier 2017