Les Modifications Corporelles

Photographies

une exposition de photographies qui ose montrer, qui trouble et qui interroge...

Trois photo-reporters font un constat saisissant sur le culte du corps, ses contraintes, ses joies aussi. Ce culte, qui s’est exprimé ; dans les années 80 à travers la musculation à outrance du corps, respectait encore l’idée de nature, quitte à l’améliorer. Aujourd’hui, ce culte devient hard et hardi chez les jeunes générations qui modifient artificiellement, radicalement et définitivement leur corps : la greffe d’éléments extérieurs, la scarification, le tatouage, le marquage au fer rouge sont des moyens de réagir contre une nature subie, de dominer cette même nature et de la transformer en lui donnant l’Image (avec un grand I) librement choisie. Tout cela évidemment au prix d’une grande souffrance, désirée le plus souvent, mais vécue comme libération totale.

L’exposition, dont une partie n’est pas à mettre devant les yeux de jeunes enfants ou de personnes sensibles, nous montre trois volets de ce culte du corps.

"RELIEFS ET ILLUSIONS" de Daniel Larue :
Exposition soft sur la beauté des corps, pouvant être regardée par tous

Daniel Larue- photo

Le photographe seynois nous présente une multitude d’images de corps masculins ou féminins, de maternités aussi, le jeu caravagesque de l’ombre et de la lumière défait les formes et met envaleur l’esthétique des courbes, le lisse ou le grain de la peau. Images hédonistes, elles magnifient l’homme avec un grand H, elles sont l’aboutissement d’un regard amoureux porté par l’artiste sur la nature humaine, telle qu’elle est. Par contraste avec les deux suivantes, elles nous invitent à la douceur des corps qui s’acceptent et qui s’aiment tels que.

"BODY BUILDING ET MUSCULATION", de Serge Labrunie

Serge Labrunie nous propose un reportage effectué en 1980 dans le monde du culturisme, discipline née à cette époque, influencée sans doute par les films d’un Arnold Schwarzenegger, modèle d’homme fort et beau au service d’une cause forte et bonne... Le culturisme emportait bon nombre d’amateurs dans les clubs de musculation et entraînait une sorte de dépendance, l’engrenage inévitable au terme duquel le corps se transformait pour ne laisser paraître que les courbes gonflées, tendues des muscles bandés. Ce monde à part, parfois mal compris ou violemment méprisé, vivait dans l’obscurité des salles (de torture) remplies de machines sophistiquées et des salles (de plaisir) de spectacle. Coupes et prix récompensaient la persévérance d’une lutte sans merci contre et avec le corps. Cette atmosphère sombre, théâtrale et dramatique, cette atmosphère d’efforts, de souffrance, mais aussi d’esthétisme, Serge L. l’a parfaitement décrite à travers son reportage qui a duré une année, ce temps qu’il faut pour comprendre lesgens, les mettre en confiance, saisir la profondeur de leurs motivations. Même si elles reflètent la violence subie, ces images, magnifiques, où le sombre l’emporte sur la lumière, où le grain d’argent se mêle au grain de la chair, sont d’une telle sensibilité et d’une telle beauté qu’elles nous obligent à nous y arrêter et à remettre en question nos jugements hâtifs de bourgeois pressés. Le reporter nous conduit patiemment et sûrement au respect de ces personnes qui ont fait ce choix "d’améliorer" leur corps, poussés par de véritables motivations de dépassement de soi et d’esthétisme.

Serge Labrunie, né en 1950, vit et travaille à Paris. Il réalise des séries de portraits (Bazin, Barthe, Soljenitsine...Mesrine... Dali, la famille princière de Monaco), réalise des commandes pour de très grands hebdomadaires, puis travaille pour les agences Gamma et Grazzie Neri, puis Ana, où il réalise des sujets aussi divers que les courses de lévriers ou l’esclavage aux Antilles .... En 1985, il effectue de nombreux reportages dans les domaines industriels et agricoles, collabore avec Michelin et Renault. En 1998, il entre à l’agence Ask Images et Eurelios. Aujoud’hui, artiste à part entière, il a le brûlant désir d’exprimer son intime conviction et se dirige vers une photographie créative, totalement émancipée, libre de toute contrainte extérieure, en un mot vers l’autre photographie, Sa Photographie. Il aimerait donner une suite à "Culturisme 1980" en photographiant un seul sujet féminin et en proposant un regard différent.

"PIERCINGS, TATOUAGES, SCARIFICATIONS ET IMPLANTS EXTRÊMES", d’Alain Soldeville
exposition pouvant heurter certaines sensibilités, à ne pas mettre devant les yeux des enfants ou des personnes sensibles

photo d’Alain Soldeville

Deux ans ont été nécessaires à Alain Soldeville pour extraire ces images troublantes, éprouvantes pour le visiteur extérieur, du monde du piercing, tatouing and so. Deux ans pour mettre les gens en confiance, en faire des portraits - constats d’une vérité humaine-, sans jamais porter de jugement. Deux ans pour amener ces personnes à s’exprimer sur leurs véritables motivations et le sens donné à ces actes volontaires et douloureux de transformation. Les photographies, classiques et belles, revêtent la froideur d’un simple constat, elles ne sont absolument pas théâtralisées par une quelconque mise en scène, elles sont là, témoignage visuel de modifications diverses et variées. Elles sont accompagnées des textes écrits par les personnes elles-mêmes qui s’expriment sur leur cheminement et leurs motivations profondes. Ces textes nous font entrer dans l’intimité de leur vécu et nous font comprendre comment un homme, une femme, peut en arriver à de telles extrémités pour s’accepter, se libérer, transformer son propre corps en oeuvre d’art, en poésie, parfois.

taouage Molinéris

Entre "destruction et renaissance, violence et évolution, rejet et reconnaissance, souffrance et plaisir, appartenance et liberté", affranchissement et esclavage, mieux-être et souffrance, ces personnes sont entre ces deux limites extrêmes, border-line, toutes ont ce désir irrésistible de métamorphose, de passage de l’état-nature originel et inachevé de cocon à l’état-création abouti d’oeuvre d’art ; se créer soi-même, acte de rébellion contre ses origines, acte relevant du fantasme d’un Prométhée ou bien recherche extrême de la vérité de son propre corps ? Cette exposition a le grand mérite d’interroger sans juger, de constater un fait de société et d’y chercher les racines profondes. Elle ne donnera sans doute pas envie au visiteur de s’initier à de telles pratiques irréversibles, à la limite du masochisme, à moins que lui-même ait des comptes à régler avec son ego...

Alain Soldeville effectue ses premiers reportages en 1982 sur les festivités religieuses en Inde et Pakistan, intègre l’agence Ana, il effectue de grands reportages en Europe et Asie pour les plus grandes revues, travaille pour la science et le CNRS, collabore ave l’agence Rapho, redevient indépendant en 1995, travaille pour NY Times, L’Humanité Dimanche, National Geofgraphic, Ed Bayard et Figaro Magazine... De 1998 à 2001, il travaille sur "modifications corporelles" et se dirige vers l’utilisation du noir et blanc et de la juxtaposition texte-image.

Posté le 9 juin 2001