Vernissage samedi 16 mai, 18h00
L’insolite (du) pictophage
« J’aime que les gens créent leur propre histoire, leur propre narration, qu’ils s’emparent de mes oeuvres. J’ai envie d’avoir un regard qui n’est pas le mien. A partir du moment où l’on regarde mon travail ou que l’on écrit sur mon travail, pour moi tout est bon ; je ne me vois pas dire : ça, c’est faux ou ce n’est pas exactement cela ». Ces quelques mots de Raba (alias Michel Rabanelly) ont de quoi réjouir...ou déboussoler celle ou celui qui appréhende son travail. Ce sera donc par la face Sud que j’attaquerai cette oeuvre, mis en joue par un jaune soleil de plomb de belle facture, celui qui offre le bleu si particulier à la mer s’écrasant sur les galets de la Promenade des Anglais, plutôt habitués au rouge. Et des couleurs, primaires ou complémentaires, Raba n’en manque point. A la ligne.
Aujourd’hui sudiste, l’inénarrable Raba connaît cependant l’expatriation dès sa sortie des Arts Décoratifs. Même s’il n’affronte pas la colère des océans ou l’étonnante Puszta hongroise, l’artiste se frotte à Paris et ses joies. De la chance, il en est pourvu puisque la première semaine dans la couronne le récompensera d’un dessin publié dans Le Monde, celui qu’on lit à défaut de le parcourir. L’homme se destine à une carrière d’illustrateur, oeuvrant tantôt pour la presse, tantôt pour les agences de publicité. Le confort matériel est peu à peu assuré et sa marque de fabrique rapidement appréciée par les grandes enseignes. Pourtant, l’ennui guette l’être, les mètres de traits se suivent et se ressemblent petit à petit, mettant à mal l’intérêt de celui qui est peintre avant tout. « L’illustration, on te donne un texte et il faut créer une image alors que le peintre part de sa problématique personnelle, de son engagement personnel et après, tout peut arriver ». 1986 : repère fondamental dans sa biographie, presque un titre de film. Michel Rabanelly l’illustrateur devient Raba, pseudo et contraction d’un nom qui lui en dit long et qu’il préfère désormais raccourcir. Raba, comme jadis on le prénommait bambin à la primaire, l’école. Ha muerto Rabanelly, longue vie à Raba, soit.
L’homme semble être de l’espèce des pictophages, croqueurs d’images de haute besogne, emmagasinant dans leur mémoire d’elfes fainéants (tout n’est pas rose chez les peintres) des quantités d’éléments hétéroclites constitués d’instants tannés par le vécu. Aussi, dans cette besace immatérielle, on ne s’étonne pas de découvrir des photographies, des logos, des croquis, en bref des représentations diverses d’hommes, d’animaux, de choses et autres métaphores que seuls eux savent transcender et / ou transgresser. Raba construit patiemment un univers propre, comme un alphabet au nombre de lettres indéfinies qui s’accumulent au gré des années. « Je vois ça comme des petites familles sur lesquelles je peux me reposer, comme des enfants...c’est rassurant. J’ai donc des familles d’images, c’est à dire des portraits d’hommes célèbres, des chats, des singes, des chiens, des cochons, etc et j’aime qu’il puisse y avoir un chien avec un personnage célèbre, avec un outil, un logo, un peu de verdure..et que ces petites familles se racontent une petite histoire, cela crée une narration imaginaire avec généralement un humour un peu grinçant, caustique voire cynique sur la dureté du monde qui nous entoure ». Et pas seulement.
Le pictophage n’est pas claustrophobe. Jugeons plutôt : Raba travaille la plupart de ces projets dans un coquet placard de 3 m2, l’exiguïté ne semblant pas interférer sur la création et le côté jubilatoire qui transpire des toiles et dessins. Là, dans cette bulle, l’artiste compose sa partition en clé de seul, s’aidant de ce qu’il nomme « ma banque d’images », en fait des dessins, des croquis, des carnets de voyages, des textes griffonnés à la hâte, des petits bouts de papiers, une encyclopédie Raba en n volumes qu’il enrichit au quotidien. Après, extrait de son alvéole dorée (et peut-être utérine ?), il caresse la toile de plusieurs couches d’enduits qui la plastifient. Débute alors une valse à plusieurs temps durant laquelle il pose ces images sur ce périmètre de lin, en effaçant certaines pour en appliquer d’autres, peignant, grattant, ponçant, donnant au blanc tout son brillant...une multitude de han rappelant que le travail du peintre est avant tout un labeur, un champ qui se laboure, qui se sème, s’entretient et se surveille. Vient l’oeuvre.
Lorsque tombe la nuit et qu’avec elle, Raba abandonne ses toiles achevées ou en passe de l’être, les petits personnages et animaux qu’elles contiennent commencent à s’éveiller. On sait depuis le fou chantant que la lune décline tout rendez-vous avec le soleil, excepté peut-être ici. Terre de contraste, les oeuvres de Raba font danser ensemble des composants ou fragments de vie bien singuliers. Ainsi, un schtroumph rose ose des fleurs à un ange, une pin-up alanguie côtoie un bouledog imbécile, Popeye le sailor man toise un héros masqué qui ne pipe mot, ou, plus sérieusement drôle, on retrouve réunis Jésus, Lénine, El Che, Staline, et Hitler sous une sentence commune : « le poil tue ». Dans un ultime dessin, Raba précise que « l’abus d’art est dangereux pour la santé ». Plus qu’un constat, nous y décèlerons un amical conseil.
Jean-Christophe Vila
(texte catalogue Raba)